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Avec l'allongement de l'espérance de vie, la prévalence de la fragilité et de la sarcopénie ne cessera d'augmenter au cours des prochaines décennies. Or, la sarcopénie impacte la qualité de vie liée à la santé. Mais comment détecter ces effets subtils? Tel était l'objectif de la thèse de doctorat en sciences de la santé publique que Charlotte Beaudart a menée à l'Université de Liège. Dans ce cadre, elle a lancé en 2013 "SarcoPhAge" (Sarcopenia and Physical Impairment with advancing Age), une des premières études observationnelles longitudinales sur la sarcopénie, qui a suivi 534 patients de plus de 65 ans pendant dix ans. Chaque année, les participants étaient revus et passaient la même batterie de tests. Parmi ceux-ci, un examen du corps entier par absorptiométrie biphotonique à rayons X (DXA) afin d'avoir une mesure précise de la masse musculaire et la masse grasse et de disposer d'une évaluation longitudinale et dynamique du statut de la sarcopénie chez ces patients. L'équipe collectait également des informations sur la qualité de vie, l'activité physique, le tabagisme, les comorbidités... Sur les 534 personnes suivies, 73 ont été diagnostiquées sarcopéniques, soit une prévalence de 14%. "L'étude SarcoPhAge a montré une association claire entre la sarcopénie et une augmentation du risque de mortalité et de chute, ainsi qu'une diminution de la qualité de vie", précise Charlotte Beaudart (faculté de médecine, UNamur). "On a aussi montré que les patients à risque de malnutrition au départ avaient un plus haut risque de développer une sarcopénie."Ce travail a permis à la chercheuse et son équipe de contribuer à la nouvelle définition de la sarcopénie par l'EWGSOP (European Working Group on Sarcopenia in Older People). Certains de leurs articles relatifs à l'utilisation de divers outils diagnostiques de la sarcopénie et à l'analyse de la variation de la prévalence de ce syndrome selon l'une ou l'autre définition, ont été utilisés pour cette révision faite en 2019. Grâce à la collaboration des patients inclus dans SarcoPhAge, Charlotte Beaudart a créé, en collaboration avec une dizaine d'experts internationaux, le questionnaire SarQoL (Sarcopenia and Quality of Life) qui mesure la qualité de vie spécifique à la sarcopénie. Il peut également être utilisé chez les patients en état de fragilité physique. Comment fonctionne SarQoL? Il s'agit d'un questionnaire auto-administré comprenant 55 items transcrits en 22 questions spécifiques à la masse et à la fonction musculaires. Il explore sept domaines de dysfonctionnement couvrant la santé physique et mentale, la locomotion, la composition corporelle, la fonctionnalité, les activités de la vie quotidienne, les loisirs, et les peurs. On y interroge par exemple la sensation d'être âgé ou fragile, la limitation dans les mouvements quotidiens (marcher, cuisiner, jardiner...), les douleurs, le maintien d'une vie sociale... Pour chacun des sept domaines, il donne un score allant de 20 (le pire) à 100 (le meilleur), ainsi qu'un score global de qualité de vie sur l'ensemble du questionnaire. Après validation, cet outil s'est avéré compréhensible, cohérent et fiable. Les patients qui l'ont testé estiment qu'il est facile à remplir, de manière autonome, en environ 10 à 15 minutes. Quels sont les objectifs de ce questionnaire? Disposer d'un outil de caractérisation clinique de la qualité de vie chez les sujets atteints de sarcopénie ; améliorer la précision de l'évaluation par les cliniciens du bien-être et des impacts physiques, psychologiques et sociaux de la sarcopénie ; évaluer l'évolution de la qualité de vie au cours du temps dans cette population, ainsi que la pertinence des interventions thérapeutiques en mesurant leur efficacité sur cette même qualité de vie. Publié en 2015, SarQoL a, depuis, été validé par 20 équipes de recherche et traduit en 35 langues. Il est disponible gratuitement pour les cliniciens et les chercheurs sur le site www.sarqol.org. "Cet outil peut être utilisé dans les essais cliniques pour évaluer l'efficacité des traitements, sur des facteurs plus subjectifs - et plus importants pour le patient qu'une amélioration de la force musculaire", explique Charlotte Beaudart. Pour faciliter l'utilisation de SarQoL par les médecins et les patients, une version abrégée a été développée: le SF-SarQoL. L'objectif est de faciliter et d'accroître l'utilisation de ce questionnaire par les médecins dans leur pratique quotidienne. Le questionnaire a été réduit de 55 à 14 items (repris en huit questions), sélectionnés dans six des sept domaines présents dans le SarQoL. Il a été mis au point par le Dr Anton Geerinck dans le cadre de sa thèse de doctorat passée en 2021 (Pr Olivier Bruyère, promoteur, et Charlotte Beaudart, copromotrice). L'évaluation clinique a montré que le SF-SarQoL peut discriminer le statut de sarcopénie, qu'il est cohérent et fiable. Si la version longue du questionnaire SarQoL est disponible en 35 langues et est fortement utilisée par de nombreux cliniciens dans le monde, sa version courte SF-SarQoL n'a encore été validée qu'en français. Pour Anton Geerinck, "cette version abrégée pourrait supprimer certains des obstacles qui ont entravé l'adoption du questionnaire SarQoL, tout en continuant à fournir une mesure valide et fiable de la qualité de vie globale." Il a réalisé une étude sur l'importance relative des 14 items du questionnaire SF-SarQoL telle que jugée par les personnes âgées elles-mêmes. Pour ce faire, il a sollicité les préférences de 163 participants, qui ont indiqué qu'ils trouvaient les items "sentir une réduction de la capacité physique" et "avoir des problèmes d'équilibre" les plus importants au regard de leur impact sur la qualité de vie, et les items "sentir une réduction de la masse musculaire" et "avoir des difficultés à porter des objets lourds" les moins importants. "C'est la première fois qu'un classement des aspects de la qualité de vie dans la sarcopénie est établi et montre clairement que tous n'ont pas la même importance."Charlotte Beaudart et ses collègues ont réalisé une méta-analyse qui montre que la sarcopénie est associée à une moindre qualité de vie liée à la santé, mesurée grâce au SarQoL, les activités de la vie quotidienne et la locomotion étant les deux domaines les plus touchés. "L'utilisation d'instruments de mesure spécifiques à la maladie permet de mieux distinguer les patients qui souffrent de sarcopénie en ce qui concerne leur qualité de vie. Pour ces patients, la mobilité reste le point noir, ne pas savoir porter son sac de courses, c'est embêtant, mais dans une moindre mesure que de ne pas pouvoir marcher parce que ça touche à l'autonomie. Il n'est donc pas étonnant de voir que les items relatifs à la locomotion sont interprétés comme étant les plus importants pour eux.""Le point de vue des patients est aujourd'hui largement reconnu comme un élément clé de l'évaluation des interventions sanitaires. Il est donc très important de disposer d'indicateurs de résultats spécifiques et validés, rapportés par les patients, et qui mettent l'accent sur leur expérience vécue. Dans le domaine de la sarcopénie, le seul instrument validé de mesure de la qualité de vie liée à la santé, c'est le questionnaire Sarcopenia Quality of Life (SarQoL)", souligne-t-elle. En revalidation clinique, ce questionnaire permet de voir si les interventions thérapeutiques (exercices physiques de résistance, suppléments nutritionnels à base de protéines, vitamine D, calcium, etc.) améliorent réellement la qualité de vie. Le patient répond au questionnaire quand il entre dans son programme de revalidation, et après deux ou trois mois, afin de voir si la prise en charge qui lui a été prescrite est efficace. "Le but d'une intervention sera d'augmenter la masse musculaire, etc. mais les autorités réglementaires veulent qu'on montre que cela agit aussi sur le bien-être du patient, sur sa qualité de vie, son ressenti... Notre questionnaire a été fait pour cet aspect-là", insiste la chercheuse.