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Le Pr Malfliet rappelle que la douleur est subdivisée en trois grandes catégories: la douleur due à une lésion nerveuse (douleur neuropathique), la douleur due à une lésion tissulaire non neuronale (douleur nociceptive) et la douleur qui ne peut être expliquée par une lésion tissulaire (douleur nociplastique). Ce dernier terme a été récemment proposé par l'Association internationale pour l'étude de la douleur. On parle également de douleur chronique aspécifique. "Les résultats de recherche que je vais présenter ici ont été enregistrés chez des patients présentant des symptômes de douleur aspécifique", souligne Anneleen Malfliet. "Ils ne doivent donc pas être généralisés aux patients souffrant d'autres types de douleur."Les patients présentant des symptômes de douleur chronique aspécifique ont souvent un long parcours médical, consultant plusieurs, voire de nombreux prestataires de soins et étant soumis à de nombreux examens complémentaires. L'examen clinique et les examens complémentaires dans les douleurs aspécifiques ne montrent pas d'anomalies pouvant expliquer les symptômes, si bien que l'on dit souvent à ces patients que leurs douleurs sont d'origine psychogène. "Cependant, nous savons grâce à des recherches menées à l'aide de techniques spécialisées, que des anomalies peuvent effectivement être observées chez ces patients, plus particulièrement au niveau du système nerveux et du cerveau", ajoute le Pr Malfliet. "Nous devons garder à l'esprit que, bien que les stimuli douloureux soient transportés vers le cerveau par des fibres nerveuses spécifiques, c'est finalement le cerveau qui produit la sensation de douleur. Chez les patients souffrant de douleurs chroniques aspécifiques, on observe une sensibilité accrue du système nerveux central aux signaux douloureux provenant de la périphérie et une interaction altérée entre les différentes zones du cerveau impliquées dans la perception de la douleur. La douleur ressentie par le patient est pour ainsi dire amplifiée par rapport à ce qui se passe au niveau des tissus. Dans certains cas, il existe même une douleur sans lésion. Chez les patients atteints de fibromyalgie, par exemple, la recherche à l'aide de l'IRM fonctionnelle montre que certaines zones sensorielles du cerveau peuvent être actives en l'absence de stimuli douloureux expérimentaux provenant de la périphérie.""Avec nos recherches, nous essayons de faire la lumière sur les mécanismes sous-jacents et de fournir des outils pour objectiver l'hypersensibilité du système nerveux. Mon intérêt spécifique et mon expertise concernent principalement le développement de techniques de kinésithérapie pour aider les patients souffrant de douleurs chroniques aspécifiques, en inversant cette hypersensibilité centrale."Plus concrètement, Anneleen Malfliet et ses collègues ont récemment comparé deux schémas thérapeutiques chez des patients souffrant de douleurs fonctionnelles (aspécifiques) au niveau du cou ou du dos. Le groupe d'intervention a reçu un nouveau traitement, combinant l'éducation à la douleur et une thérapie d'exercice spécifique. Le groupe témoin a reçu des soins standards, qui consistent à activer le patient mais à traiter les symptômes de manière très locale. · Éducation à la douleur. Pendant l'éducation à la douleur, qui a été donnée en trois séances, le patient s'est vu expliquer que ce n'était pas son cou ou son dos qui était la cause du problème, mais plutôt son système nerveux, qui était en état d'alarme et devait être désensibilisé. · La thérapie par l'exercice consiste à réintroduire progressivement les mouvements quotidiens que le patient avait fini par éviter en raison de la douleur. Dans le cas d'une lombalgie chronique, par exemple, il s'agissait principalement de se pencher en avant ou de soulever des poids en courbant le dos. Si un exercice provoquait des douleurs, il n'était pas modifié, à condition que le kiné travaille graduellement et se limite aux exercices reconnus comme sûrs. Les exercices de ce type peuvent être utilisés pour faire prendre conscience aux patients qu'ils peuvent à nouveau effectuer des mouvements ordinaires de la vie quotidienne, de sorte qu'ils n'éprouvent plus d'angoisse quand ils les effectuent. Ce concept contraste avec la kiné standard du groupe témoin, qui se concentrait sur la mobilisation et les exercices d'endurance ou de force, et qui adaptait l'intensité et/ou la fréquence des exercices si le patient ressentait des douleurs. Les résultats ont montré une amélioration beaucoup plus importante de plusieurs paramètres dans le groupe d'intervention: douleur, fonctionnalité, cognition liée à la douleur, comportement d'évitement... Ceci a été mis en évidence à l'aide de questionnaires et de mesures expérimentales de la douleur. "Une leçon importante se dégage de cette étude", conclut le Pr Malfliet. "Le traitement kinésithérapeutique de la douleur fonctionnelle devrait se concentrer sur la fonctionnalité, et non pas tant sur la douleur."Cette étude a été menée sur un groupe de patients assez large et hétérogène. Les chercheurs souhaitent maintenant se concentrer plus spécifiquement sur d'autres facteurs connus pour leur influence sur la douleur chronique, tels que le surpoids et les troubles du sommeil. Des interventions supplémentaires (sur le mode de vie) pourraient-elles avoir un effet additionnel, en plus du bénéfice prouvé de l'éducation à la douleur combinée à l'entraînement à la fonctionnalité? Il ressort par exemple de l'étude que chez les patients souffrant simultanément de douleur chronique et d'insomnie, la douleur peut difficilement être réduite tant que les troubles du sommeil ne sont pas traités. En effet, l'insomnie a un effet négatif sur la douleur, à la fois directement par l'intermédiaire du système nerveux central et par l'induction ou l'amplification d'une inflammation de faible intensité. À l'inverse, des études à court terme montrent que la thérapie du sommeil a des effets bénéfiques sur la douleur chez les personnes souffrant de douleurs chroniques et d'insomnie. Anneleen Malfliet commente: "En ajoutant une thérapie du sommeil chez les patients souffrant de douleurs chroniques aspécifiques, nous espérons donc obtenir un effet supplémentaire sur la douleur. Nous avons lancé une étude à ce sujet, mais les résultats sont encore en cours d'analyse. Mais il apparaît d'ores et déjà que notre thérapie du sommeil est adéquate, car les patients qui ont bénéficié de cette intervention ont mieux dormi. La thérapie du sommeil a été dispensée par des kinés. Ceci est important, car la thérapie du sommeil est généralement dispensée par des psychologues spécialisés, mais les délais d'attente auprès de ces praticiens sont très longs."Une autre intervention qui pourrait potentiellement être liée à la kiné avec un bénéfice supplémentaire se concentre sur les conseils nutritionnels et la composition corporelle. En effet, le surpoids n'est pas seulement un obstacle à l'activité physique, mais aussi une source d'inflammation via la sécrétion de cytokines pro-inflammatoires, favorisant ainsi la douleur. "En résumé, nous voulons évoluer vers une approche large, incluant le sommeil, l'activité physique, la cognition, les émotions, le stress et peut-être encore d'autres facteurs", conclut le Pr Malfliet. "Cela ne facilite pas le traitement. En effet, une grande partie du travail consiste à induire des changements de comportement dans différents domaines. Cela signifie que nous devons fixer des priorités avec le patient. Celui-ci doit faire preuve d'un grand engagement personnel, mais nous ne pouvons pas attendre de lui qu'il s'attaque à tous les facteurs sur lesquels il doit travailler en même temps."Les techniques d'imagerie utilisées pour mettre en évidence l'hypersensibilité cérébrale peuvent-elles être utilisées comme marqueur diagnostique dans la pratique quotidienne, afin que les patients souffrant de douleurs chroniques aspécifiques soient moins susceptibles de s'entendre dire qu'ils "n'ont rien"? Anneleen Malfliet: "Premièrement, ces techniques ne sont actuellement pas disponibles dans la pratique quotidienne. Deuxièmement, nous les utilisons pour enregistrer des paramètres dont la dispersion autour de la moyenne est assez élevée. Nous pouvons donc faire des constats bien définis au niveau populationnel en ce qui concerne la douleur chronique aspécifique, mais au niveau individuel, certains des patients n'obtiendront pas de résultats différents pour les paramètres en question par rapport à une population témoin sans douleur. En outre, les anomalies ne concernent souvent pas un seul paramètre, mais un ensemble de paramètres, qui diffèrent d'un patient à l'autre. Donc, non, ces techniques d'imagerie ne sont pas actuellement utiles pour le diagnostic de la douleur nociplastique.""Pour le diagnostic de la douleur nociplastique, nous utilisons en pratique - avec nos résultats anamnestiques et cliniques - un algorithme qui pose trois questions. Premièrement: la douleur et le dysfonctionnement qui en résulte sont-ils disproportionnés par rapport aux résultats objectifs de l'examen clinique et des examens complémentaires? Deuxièmement: la douleur est-elle diffuse ou change-t-elle de localisation? Si la réponse à ces deux questions est positive, on peut supposer qu'il existe au moins une composante nociplastique. En outre, nous procédons parfois à l'évaluation du CSI (Central Sensitisation Inventory). Le CSI comporte 25 affirmations, dont le patient peut évaluer la pertinence par rapport à sa propre situation sur une échelle à quatre points. Un score d'au moins 40/100 est le troisième élément suggestif pour le diagnostic de douleur nociplastique. Je voudrais également souligner que le CSI ne doit pas être utilisé de manière isolée car les personnes souffrant d'anxiété ou de dépression obtiennent également des scores élevés. Enfin, il faut également garder à l'esprit que les patients algiques présentent souvent une combinaison de plusieurs types de douleur, dont l'un est prédominant."