46 ans après avoir sorti deux albums mythiques en wallon, le vibraphoniste verviétois Guy Cabay voit ceux-ci à nouveau compilés dans un album qui paraît chez le label parisien Tricatel. En effet, Bertrand Burgalat, tombé sous le charme de cette bossa-nova en wallon de Liège, s'est mis en tête de fondre ces deux perles introuvables depuis leur sortie en 1978, dont le tube "Pôve Tièsse" qui en était extrait. Ceci à la grande surprise et joie de Guy Cabay qui, poursuivant par ailleurs depuis près d'un demi-siècle une carrière prolifique de jazzman, a accompagné de pointures comme Toots Thielemans, Philip Catherine ou Steve Houben. Admis à la Société de langue et littérature wallonne en 2020, ce musicologue, docteur en musique médiévale, défend autant le nom du jazz... que le nom di dju!

Le journal du Médecin: Vous êtes plutôt Chet Baker ou Joao Gilberto?

Guy Cabay: Les deux. Il paraît que Chet Baker en entendant mes disques en wallon a dit que je chantais comme Gilberto.

On a également l'impression que le Liégeois, c'est un peu du Brésilien.

Oui. Sauf qu'au Brésil ils ont la caïpirinha et qu'à Liège, nous avons le péket. Et la caïpirinha, c'est bien meilleur! (il rit)

Dans la sonorité, et musicalement bien entendu, mais aussi au niveau du phrasé, il y aurait un rapport entre le brésilien et le liégeois...

Disons que je le force un peu. Mais en effet, il y a des sons qui se ressemblent: les tchi et les dji du wallon liégeois sonnent brésilien, car en français ils n'existent pas. Par ailleurs, beaucoup de voyelles sont semblables. Par contre, il y a des sonorités en liégeois absentes du brésilien: ce sont les "in" et les "an".

Donc, si je vous comprends bien, les Brésiliens n'ont pas "la chance" de connaître le lacquemant...

(rires) J'ajoute que je ne me suis rendu au Brésil qu'une seule fois en 2007.

Votre amour de la bossa-nova vient-il d'avoir entendu "The Girl form Ipanima" de Stan Getz?

Non, cela s'est fait par hasard. D'ailleurs, je n'aime pas trop "The girl from Ipanima". "A garota de Ipanema", la version originale de Carlos Jobim par contre... En anglais, c'est une horreur, alors qu'en brésilien, cela sonne merveilleusement.

Chico Buarque

Votre manière de chanter évoque Chico Buarque...

Nous avons d'ailleurs à peu près le même âge. Ce chanteur brésilien est quelqu'un qui a toujours eu un fort engagement politique: un grand défenseur de la démocratie qui a dû s'expatrier à l'époque en France, raison pour laquelle il parle bien français.

Le fait qu'il y a beaucoup de jazzmen à Liège serait-il dû au fait que la ville fut un haut lieu de l'anarchie en Belgique?

(il rit) Je ne crois pas. Mais c'est une question qui mériterait d'être étudiée.

Je pensais au Cirque d'hiver où s'est notamment produite Laurie Anderson il y a quarante ans...

Le Cirque d'hiver en effet ne pouvait exister qu'à Liège. Je ne sais pas si c'était un haut lieu de l'anarchie, mais certainement de la folie liégeoise. J'y ai chanté et joué au plusieurs fois, mais en ce qui concerne le jazz, la véritable adresse c'était Le lion s'envoile.

Êtes-vous plutôt xylophone que vibraphone et où la différence se situe-t-elle?

Je joue des deux. Le xylophone est constitué de lames de bois, le vibraphone de métal: le bois ne résonne pas, tandis qu'avec le vibraphone, l'on peut produire des sons beaucoup plus longs.

La grande époque du vibraphone dans le jazz ne se situerait-elle pas dans les années septante, avec en Belgique Sadi notamment?

Sadi, c'était plutôt les années 50-60. A l'époque, il n'y avait pas beaucoup de vibraphones, un instrument très onéreux. J'ai été un des rares avec Sadi à en jouer. La grande époque a évidemment débuté avec Lionel Hampton: c'était un instrument spectaculaire. Pourquoi j'en ai joué? J'aimerais bien le savoir... J'ai d'abord débuté au piano car le vibraphone coûtait cher. À 17 ans, j'ai pu en racheter un d'occasion. Avant cela, je remplissais des bouteilles de Spa vides d'eau: je jouais du bouteillophone!

Cet instrument est-il encore fort présent dans le jazz actuel?

Plus que jamais! Beaucoup de jeunes musiciens en jouent.

Jacques Pelzer

Entre Henri Pousseur et Jacques Pelzer, lequel vous a le plus influencé?

Les deux, car il ne pratiquait pas la même musique. Pousseur, je l'ai eu lorsque j'étais étudiant en musicologie à l'Université de Liège, comme professeur d'écriture. Pelzer était un jazzman avec qui j'ai joué. J'avais un cousin qui jouait du saxophone et qui allait prendre des leçons chez une grande pointure du jazz classique belge: Raoul Faisant. Tous l'appelaient "le père", c'est vous dire... C'est avec lui qu'ont étudié Jacques Pelzer, Bobby Japspar et René Thomas. Tous les grands du jazz de Liège étaient peu ou prou les disciples de Raoul Faisant. Et j'ai eu l'occasion de lui rendre visite lorsque j'avais une quinzaine d'années.

Pelzer, je l'ai rencontré plus tard, lorsque j'étais à l'université où j'ai fait la connaissance de Steve Houben, qui était dans la même année que moi. J'étudiais la musicologie du Moyen Âge, tout en jouant du jazz, en jammant, jusqu'au moment où j'ai fait ce disque totalement inattendu et qui ne devait pas faire partie de mon parcours. Face au succès de l'album, j'ai décidé de devenir musicien professionnel plutôt que de rester musicologue. Jusque-là, j'étais un musicien théoricien plutôt que pratiquant...

Il est étonnant qu'un saxophoniste du talent de Raoul Faisant soit toujours resté à Liège...

René Thomas et Bobby Jaspar se sont expatriés, mais Raoul Faisant n'a jamais voulu quitter Liège: un musicien qui pourtant aurait pu entreprendre des tournées mondiales, qui était pressenti par les Américains. Thomas par contre a été considéré comme le meilleur guitariste du monde par DownBeat, magazine américain de référence en jazz qui dresse chaque année le palmarès des meilleurs musiciens, incluant les stars comme les autres. Dans les années 60, Thomas était considéré comme la vedette montante mondiale au niveau de la guitare... Mais il est vrai qu'il mériterait d'être plus connu. Quant à Bobby Jaspar, il s'est carrément produit avec Miles Davis

Comment expliquez-vous ce vivier de jazzmen à Liège?

Et à Verviers, d'où je viens! On dit que je suis le plus brésilien des Liégeois, mais en fait je suis le plus carioca des Verviétois! (rires) Je ne peux pas l'expliquer. Mais il ne faut pas oublier Bruxelles où, je vous le rappelle, sévissait un type qui jouait d'un petit instrument appelé harmonica et qui m'a fait l'honneur d'enregistrer plusieurs chansons avec moi. (il sourit)

Corse et flamand

En tant que "chanteur" wallon, êtes-vous connu du côté flamand?

En tout cas, à l'époque, ma chanson passait en Flandre. Mais le plus comique, c'est qu'un jour, un réalisateur flamand, Manu Riche, me téléphone et me dit "J'ai entendu votre bossa-nova à La VRT. Je fais un film de coproduction entre Pays-Bas et Région flamande et je souhaiterais y inclure votre chanson". Et non seulement il l'a intégrée avec d'autres de mes morceaux, mais en plus je la joue en live avec un groupe à la fin de "Problemski Hotel". J'ai été nominé meilleure musique de film aux Ensors du cinéma 2016 avec une musique en wallon dans un film flamand!

Est-ce parce qu'il est né en Corse que Bertrant Burgalat s'est intéressé à vos albums en wallon?

(rires) Je n'en sais absolument rien. Je ne suis pas sûr que Bertrand, que je n'ai rencontré qu'une seule fois à Bruxelles, s'intéresse spécialement au wallon liégeois. Il a entendu une musique qui sonnait bien, couplée à une langue que tout le monde trouve formidable. La seule qui ne s'y intéresse pas, c'est la Fédération Wallonie-Bruxelles qui a honte du wallon, semble- t-il. Ou en tout cas n'en a rien à cirer...

Guy Cabay. Cabaycédaire. Tricatel.

46 ans après avoir sorti deux albums mythiques en wallon, le vibraphoniste verviétois Guy Cabay voit ceux-ci à nouveau compilés dans un album qui paraît chez le label parisien Tricatel. En effet, Bertrand Burgalat, tombé sous le charme de cette bossa-nova en wallon de Liège, s'est mis en tête de fondre ces deux perles introuvables depuis leur sortie en 1978, dont le tube "Pôve Tièsse" qui en était extrait. Ceci à la grande surprise et joie de Guy Cabay qui, poursuivant par ailleurs depuis près d'un demi-siècle une carrière prolifique de jazzman, a accompagné de pointures comme Toots Thielemans, Philip Catherine ou Steve Houben. Admis à la Société de langue et littérature wallonne en 2020, ce musicologue, docteur en musique médiévale, défend autant le nom du jazz... que le nom di dju!Le journal du Médecin: Vous êtes plutôt Chet Baker ou Joao Gilberto? Guy Cabay: Les deux. Il paraît que Chet Baker en entendant mes disques en wallon a dit que je chantais comme Gilberto. On a également l'impression que le Liégeois, c'est un peu du Brésilien. Oui. Sauf qu'au Brésil ils ont la caïpirinha et qu'à Liège, nous avons le péket. Et la caïpirinha, c'est bien meilleur! (il rit)Dans la sonorité, et musicalement bien entendu, mais aussi au niveau du phrasé, il y aurait un rapport entre le brésilien et le liégeois...Disons que je le force un peu. Mais en effet, il y a des sons qui se ressemblent: les tchi et les dji du wallon liégeois sonnent brésilien, car en français ils n'existent pas. Par ailleurs, beaucoup de voyelles sont semblables. Par contre, il y a des sonorités en liégeois absentes du brésilien: ce sont les "in" et les "an". Donc, si je vous comprends bien, les Brésiliens n'ont pas "la chance" de connaître le lacquemant... (rires) J'ajoute que je ne me suis rendu au Brésil qu'une seule fois en 2007. Votre amour de la bossa-nova vient-il d'avoir entendu "The Girl form Ipanima" de Stan Getz?Non, cela s'est fait par hasard. D'ailleurs, je n'aime pas trop "The girl from Ipanima". "A garota de Ipanema", la version originale de Carlos Jobim par contre... En anglais, c'est une horreur, alors qu'en brésilien, cela sonne merveilleusement. Votre manière de chanter évoque Chico Buarque... Nous avons d'ailleurs à peu près le même âge. Ce chanteur brésilien est quelqu'un qui a toujours eu un fort engagement politique: un grand défenseur de la démocratie qui a dû s'expatrier à l'époque en France, raison pour laquelle il parle bien français. Le fait qu'il y a beaucoup de jazzmen à Liège serait-il dû au fait que la ville fut un haut lieu de l'anarchie en Belgique? (il rit) Je ne crois pas. Mais c'est une question qui mériterait d'être étudiée. Je pensais au Cirque d'hiver où s'est notamment produite Laurie Anderson il y a quarante ans...Le Cirque d'hiver en effet ne pouvait exister qu'à Liège. Je ne sais pas si c'était un haut lieu de l'anarchie, mais certainement de la folie liégeoise. J'y ai chanté et joué au plusieurs fois, mais en ce qui concerne le jazz, la véritable adresse c'était Le lion s'envoile.Êtes-vous plutôt xylophone que vibraphone et où la différence se situe-t-elle?Je joue des deux. Le xylophone est constitué de lames de bois, le vibraphone de métal: le bois ne résonne pas, tandis qu'avec le vibraphone, l'on peut produire des sons beaucoup plus longs. La grande époque du vibraphone dans le jazz ne se situerait-elle pas dans les années septante, avec en Belgique Sadi notamment? Sadi, c'était plutôt les années 50-60. A l'époque, il n'y avait pas beaucoup de vibraphones, un instrument très onéreux. J'ai été un des rares avec Sadi à en jouer. La grande époque a évidemment débuté avec Lionel Hampton: c'était un instrument spectaculaire. Pourquoi j'en ai joué? J'aimerais bien le savoir... J'ai d'abord débuté au piano car le vibraphone coûtait cher. À 17 ans, j'ai pu en racheter un d'occasion. Avant cela, je remplissais des bouteilles de Spa vides d'eau: je jouais du bouteillophone! Cet instrument est-il encore fort présent dans le jazz actuel?Plus que jamais! Beaucoup de jeunes musiciens en jouent. Entre Henri Pousseur et Jacques Pelzer, lequel vous a le plus influencé? Les deux, car il ne pratiquait pas la même musique. Pousseur, je l'ai eu lorsque j'étais étudiant en musicologie à l'Université de Liège, comme professeur d'écriture. Pelzer était un jazzman avec qui j'ai joué. J'avais un cousin qui jouait du saxophone et qui allait prendre des leçons chez une grande pointure du jazz classique belge: Raoul Faisant. Tous l'appelaient "le père", c'est vous dire... C'est avec lui qu'ont étudié Jacques Pelzer, Bobby Japspar et René Thomas. Tous les grands du jazz de Liège étaient peu ou prou les disciples de Raoul Faisant. Et j'ai eu l'occasion de lui rendre visite lorsque j'avais une quinzaine d'années.Pelzer, je l'ai rencontré plus tard, lorsque j'étais à l'université où j'ai fait la connaissance de Steve Houben, qui était dans la même année que moi. J'étudiais la musicologie du Moyen Âge, tout en jouant du jazz, en jammant, jusqu'au moment où j'ai fait ce disque totalement inattendu et qui ne devait pas faire partie de mon parcours. Face au succès de l'album, j'ai décidé de devenir musicien professionnel plutôt que de rester musicologue. Jusque-là, j'étais un musicien théoricien plutôt que pratiquant...Il est étonnant qu'un saxophoniste du talent de Raoul Faisant soit toujours resté à Liège... René Thomas et Bobby Jaspar se sont expatriés, mais Raoul Faisant n'a jamais voulu quitter Liège: un musicien qui pourtant aurait pu entreprendre des tournées mondiales, qui était pressenti par les Américains. Thomas par contre a été considéré comme le meilleur guitariste du monde par DownBeat, magazine américain de référence en jazz qui dresse chaque année le palmarès des meilleurs musiciens, incluant les stars comme les autres. Dans les années 60, Thomas était considéré comme la vedette montante mondiale au niveau de la guitare... Mais il est vrai qu'il mériterait d'être plus connu. Quant à Bobby Jaspar, il s'est carrément produit avec Miles DavisComment expliquez-vous ce vivier de jazzmen à Liège? Et à Verviers, d'où je viens! On dit que je suis le plus brésilien des Liégeois, mais en fait je suis le plus carioca des Verviétois! (rires) Je ne peux pas l'expliquer. Mais il ne faut pas oublier Bruxelles où, je vous le rappelle, sévissait un type qui jouait d'un petit instrument appelé harmonica et qui m'a fait l'honneur d'enregistrer plusieurs chansons avec moi. (il sourit)En tant que "chanteur" wallon, êtes-vous connu du côté flamand?En tout cas, à l'époque, ma chanson passait en Flandre. Mais le plus comique, c'est qu'un jour, un réalisateur flamand, Manu Riche, me téléphone et me dit "J'ai entendu votre bossa-nova à La VRT. Je fais un film de coproduction entre Pays-Bas et Région flamande et je souhaiterais y inclure votre chanson". Et non seulement il l'a intégrée avec d'autres de mes morceaux, mais en plus je la joue en live avec un groupe à la fin de "Problemski Hotel". J'ai été nominé meilleure musique de film aux Ensors du cinéma 2016 avec une musique en wallon dans un film flamand!Est-ce parce qu'il est né en Corse que Bertrant Burgalat s'est intéressé à vos albums en wallon?(rires) Je n'en sais absolument rien. Je ne suis pas sûr que Bertrand, que je n'ai rencontré qu'une seule fois à Bruxelles, s'intéresse spécialement au wallon liégeois. Il a entendu une musique qui sonnait bien, couplée à une langue que tout le monde trouve formidable. La seule qui ne s'y intéresse pas, c'est la Fédération Wallonie-Bruxelles qui a honte du wallon, semble- t-il. Ou en tout cas n'en a rien à cirer...