Dernier gardien du "son cubano", Eliades Ochoa et son allure de Johnny Cash Cubain est l'un des ultimes survivants du Buena Vista Social Club. A 77 ans, le chanteur et guitariste cubain sort son album le plus personnel, truffé de ses propres compositions. Il y évoque sa vie et ses souvenirs et, en concert, ses amis aujourd'hui disparus du "Club"....

Le journal du Médecin : Il vous fallait vieillir pour être enfin en mesure d'écrire des chansons de votre cru et qui parlaient de vous?

Eliades Ochoa: Je n'avais jamais joué le guajiro (paysan) typique sur d'autres disques et j'ai recherché la nouveauté, un nouveau rythme: j'avais ces chansons dans la tête et la guajira (musique de la campagne) me permettait d'aborder un répertoire plus contemporain et personnel...

Pourquoi maintenant?

Parce que j'ai enfin commencé à travailler de façon indépendante et à écrire mes chansons. Avant, je travaillais pour des labels, qui me demandaient d'interpréter des standards cubains, surtout des années cinquante. Dorénavant je suis plus libre et je peux chanter ce qui me plaît.

Villes et champs

Le fait d'être d'origine paysanne vous différencie-t-il d'autres musiciens et chanteurs cubains originaires des villes?

Je suis un paysan, un fermier originaire des montagnes. J'aime l'atmosphère qui règne dans la campagne où la musique guajira est présente partout: dans les danses, au cours des fêtes et des réunions familiales. Raison pour laquelle je suis si à l'aise pour en composer et en interpréter. A la campagne, les sons cubanos, les guarachas et les styles de musiques apparentés sont également appréciés.

Pensez-vous que la musique originaire de la campagne est plus authentique que celle créée en ville?

Bien sûr. Le musicien paysan, est plus humble, n'attend rien, ni argent ni gloire de la musique qu'il interprète. Ces artistes interprètent et transmettent cette musique authentique et traditionnelle par amour pour elle: ils sont à la base de la musique cubaine.

Vos parents étaient également musiciens...

Et tous deux étaient doués: mon père plus que ma mère, mais il n'était pas professionnel; il jouait lors de réunions familiales et se révélait excellent musicien.

Qui y a-t-il de spécifique à la guajira, à ce style de musique, par rapport au "son" par exemple?

Il s'agit de deux rythmes et styles différents. Il est plus facile de danser le son: la guaracha est similaire au son, mais plus proche du boléro, et requiert parfois trois notes là où le son n'en demande que deux.

Et la guaracha?

Elle est plus proche de la salsa et n'a rien à voir avec les deux autres styles musicaux. On peut danser sur ces trois types de musique, mais en effet la guaracha est plus rapide.

Lorsque vous jouez, pensez-vous à tous ces musiciens du Buena Vista Social Club qui sont décédés depuis....

Forcément. Quand je suis sur une scène, je parle aussi d'eux, de ceux qui ne sont plus là physiquement: j'évoque leur souvenir. J'interprète encore de nombreux morceaux du Buena Vista sur lesquels je ressens la présence de Compay, d'Ibrahim, de Rubén, Pio, Guajiro, notamment sur "El Cuarto de Tula" ou "Chan Chan". Je me souviens de tous mes vieux compagnons et je chante pour eux.

Ry Cooder

Êtes-vous toujours en contact avec Omara Portuondo, l'autre grande survivante du Buena Vista Social Club?

Je ne l'ai pas vue depuis l'année dernière, mais je suis toujours au courant de son travail, de sa carrière et de ses tournées. La dernière fois que je l'ai rencontrée, c'est lors d'un festival en Espagne.

Y aurait-il une collaboration prévue dans le futur?

Tout dépend des labels, mais il n'y a pas de projet actuellement.

Etes-vous toujours en contact avec Ry Cooder ou Nick Gold? Et selon vous, lequel des deux a été le plus important dans la résurrection internationale de la musique cubaine au travers du Buena Vista?

La décision de faire un album cubain venait de Nick Gold, mais la maîtrise en revint à Ry Cooder. A mon avis, ils se partagent équitablement la responsabilité de la réalisation du projet Buena Vista. Mais je n'ai plus eu de contact avec Ry depuis la pandémie. Par contre, j'entretiens des relations régulières avec Nick, qui vient me voir chaque fois que je me produis à Londres. Nous nous téléphonons et échangeons par mail régulièrement.

Vous étiez très jeune quand la révolution cubaine a éclaté. Quelles en furent les conséquences pour les musiciens?

J'avais à peu près 17 ans lorsque j'ai commencé ma carrière professionnelle en 1963 sur une station de radio en étant payé par l'État cubain. Le ministère de la Culture a remplacé ensuite le Conseil national de la Culture, en regroupant tout ce qui était musicien, artiste dans une institution. Les musiciens ou les groupes travaillaient selon les directives du ministère. Nous ne pouvions travailler de façon indépendante, seulement au travers de la structure que le ministère imposait.

Est-ce encore le cas aujourd'hui?

C'est toujours pareil. Les artistes dépendent du ministère de la Culture et du Centro de la Música de Cuba, pour pouvoir jouer à l'étranger notamment.

Vous avez accompagné Bob Dylan ou Manu Dibango entre autres: comment avez-vous rencontré Joan Wasser, plus connue sous le nom de Joan as Police Woman avec qui vous chantez en duo sur cet album?

Je ne la connaissais pas personnellement, mais j'étais très content que le label propose un duo avec Joan, car j'adore sa voix. Connaissant mon travail, elle a tout de suite accepté, d'autant qu'elle adorait la chanson. J'en suis très fier...

Quel genre de musique cubaine actuelle écoutez-vous ? Orishas, Los Van Van?

J'écoute d'abord ma propre musique dans le but de constamment l'améliorer. Cuba est une île musicale qui regorge de bonne musique. J'apprécie surtout le genre originaire de Santiago de Cuba, le son. J'adore par ailleurs la llanera, la musique traditionnelle du Venezuela, mais également Los Tres Reyes, un ancien trio mexicain, et la vieille musique cubaine, celle de Los Embajadores, Benny Moré ou Celia Cruz, sans oublier bien sûr les albums des années cinquante de Los Compadres, premier groupe de mon ami disparu Compay Segundo.

Vivant désormais à Madrid, j'écoute aussi la musique espagnole actuelle, notamment la copla et surtout Joselito qui a à peu près le même âge que moi. J'adore ce qu'il fait, tout comme le flamenco.

Comptez-vous enregistrer un album de flamenco ?

Je ne dis pas non, mais ce serait irrespectueux envers les vrais artistes flamenca (il rit). Mais cela me plairait d'explorer cette direction...

Eliades Ochoa. Guajiro. Word Circuit.

En concert à l'AB le 3 octobre prochain.

Dernier gardien du "son cubano", Eliades Ochoa et son allure de Johnny Cash Cubain est l'un des ultimes survivants du Buena Vista Social Club. A 77 ans, le chanteur et guitariste cubain sort son album le plus personnel, truffé de ses propres compositions. Il y évoque sa vie et ses souvenirs et, en concert, ses amis aujourd'hui disparus du "Club"....Le journal du Médecin : Il vous fallait vieillir pour être enfin en mesure d'écrire des chansons de votre cru et qui parlaient de vous?Eliades Ochoa: Je n'avais jamais joué le guajiro (paysan) typique sur d'autres disques et j'ai recherché la nouveauté, un nouveau rythme: j'avais ces chansons dans la tête et la guajira (musique de la campagne) me permettait d'aborder un répertoire plus contemporain et personnel...Pourquoi maintenant?Parce que j'ai enfin commencé à travailler de façon indépendante et à écrire mes chansons. Avant, je travaillais pour des labels, qui me demandaient d'interpréter des standards cubains, surtout des années cinquante. Dorénavant je suis plus libre et je peux chanter ce qui me plaît.Le fait d'être d'origine paysanne vous différencie-t-il d'autres musiciens et chanteurs cubains originaires des villes?Je suis un paysan, un fermier originaire des montagnes. J'aime l'atmosphère qui règne dans la campagne où la musique guajira est présente partout: dans les danses, au cours des fêtes et des réunions familiales. Raison pour laquelle je suis si à l'aise pour en composer et en interpréter. A la campagne, les sons cubanos, les guarachas et les styles de musiques apparentés sont également appréciés.Pensez-vous que la musique originaire de la campagne est plus authentique que celle créée en ville? Bien sûr. Le musicien paysan, est plus humble, n'attend rien, ni argent ni gloire de la musique qu'il interprète. Ces artistes interprètent et transmettent cette musique authentique et traditionnelle par amour pour elle: ils sont à la base de la musique cubaine.Vos parents étaient également musiciens... Et tous deux étaient doués: mon père plus que ma mère, mais il n'était pas professionnel; il jouait lors de réunions familiales et se révélait excellent musicien. Qui y a-t-il de spécifique à la guajira, à ce style de musique, par rapport au "son" par exemple?Il s'agit de deux rythmes et styles différents. Il est plus facile de danser le son: la guaracha est similaire au son, mais plus proche du boléro, et requiert parfois trois notes là où le son n'en demande que deux.Et la guaracha?Elle est plus proche de la salsa et n'a rien à voir avec les deux autres styles musicaux. On peut danser sur ces trois types de musique, mais en effet la guaracha est plus rapide.Lorsque vous jouez, pensez-vous à tous ces musiciens du Buena Vista Social Club qui sont décédés depuis....Forcément. Quand je suis sur une scène, je parle aussi d'eux, de ceux qui ne sont plus là physiquement: j'évoque leur souvenir. J'interprète encore de nombreux morceaux du Buena Vista sur lesquels je ressens la présence de Compay, d'Ibrahim, de Rubén, Pio, Guajiro, notamment sur "El Cuarto de Tula" ou "Chan Chan". Je me souviens de tous mes vieux compagnons et je chante pour eux. Êtes-vous toujours en contact avec Omara Portuondo, l'autre grande survivante du Buena Vista Social Club? Je ne l'ai pas vue depuis l'année dernière, mais je suis toujours au courant de son travail, de sa carrière et de ses tournées. La dernière fois que je l'ai rencontrée, c'est lors d'un festival en Espagne.Y aurait-il une collaboration prévue dans le futur? Tout dépend des labels, mais il n'y a pas de projet actuellement. Etes-vous toujours en contact avec Ry Cooder ou Nick Gold? Et selon vous, lequel des deux a été le plus important dans la résurrection internationale de la musique cubaine au travers du Buena Vista? La décision de faire un album cubain venait de Nick Gold, mais la maîtrise en revint à Ry Cooder. A mon avis, ils se partagent équitablement la responsabilité de la réalisation du projet Buena Vista. Mais je n'ai plus eu de contact avec Ry depuis la pandémie. Par contre, j'entretiens des relations régulières avec Nick, qui vient me voir chaque fois que je me produis à Londres. Nous nous téléphonons et échangeons par mail régulièrement.Vous étiez très jeune quand la révolution cubaine a éclaté. Quelles en furent les conséquences pour les musiciens? J'avais à peu près 17 ans lorsque j'ai commencé ma carrière professionnelle en 1963 sur une station de radio en étant payé par l'État cubain. Le ministère de la Culture a remplacé ensuite le Conseil national de la Culture, en regroupant tout ce qui était musicien, artiste dans une institution. Les musiciens ou les groupes travaillaient selon les directives du ministère. Nous ne pouvions travailler de façon indépendante, seulement au travers de la structure que le ministère imposait.Est-ce encore le cas aujourd'hui?C'est toujours pareil. Les artistes dépendent du ministère de la Culture et du Centro de la Música de Cuba, pour pouvoir jouer à l'étranger notamment.Vous avez accompagné Bob Dylan ou Manu Dibango entre autres: comment avez-vous rencontré Joan Wasser, plus connue sous le nom de Joan as Police Woman avec qui vous chantez en duo sur cet album?Je ne la connaissais pas personnellement, mais j'étais très content que le label propose un duo avec Joan, car j'adore sa voix. Connaissant mon travail, elle a tout de suite accepté, d'autant qu'elle adorait la chanson. J'en suis très fier...Quel genre de musique cubaine actuelle écoutez-vous ? Orishas, Los Van Van?J'écoute d'abord ma propre musique dans le but de constamment l'améliorer. Cuba est une île musicale qui regorge de bonne musique. J'apprécie surtout le genre originaire de Santiago de Cuba, le son. J'adore par ailleurs la llanera, la musique traditionnelle du Venezuela, mais également Los Tres Reyes, un ancien trio mexicain, et la vieille musique cubaine, celle de Los Embajadores, Benny Moré ou Celia Cruz, sans oublier bien sûr les albums des années cinquante de Los Compadres, premier groupe de mon ami disparu Compay Segundo.Vivant désormais à Madrid, j'écoute aussi la musique espagnole actuelle, notamment la copla et surtout Joselito qui a à peu près le même âge que moi. J'adore ce qu'il fait, tout comme le flamenco. Comptez-vous enregistrer un album de flamenco ? Je ne dis pas non, mais ce serait irrespectueux envers les vrais artistes flamenca (il rit). Mais cela me plairait d'explorer cette direction...