Les résultats de l'étude pilote du test de dépistage néonatal par séquençage ADN "Baby Detect" sont parus dans Nature Medicine le 28 janvier. Le test, mis au point par le CHU de Liège, a déjà été effectué sur près de 6.000 nourrissons, et a permis de dépister davantage de pathologies que le conventionnel " NBS " par test de Guthrie.

Pourquoi dépister toutes ces maladies rares et graves, et quels enjeux de société ce test implique-t-il ? Faut-il le généraliser à tous les nouveau-nés et à quel prix ? Sommes-nous prêts ? Le journal du Médecin fait point avec le Pr Laurent Servais, neuropédiatre, professeur de pathologies neuromusculaires pédiatriques à l'Université d'Oxford et professeur de neurologie pédiatrique à l'ULiège, et avec Aymeric Harmant, CEO de Thameus, la spin-off en charge de la diffusion du test "Baby Detect" avec d'autres acteurs médicaux à travers le monde.

Le journal du Médecin : le test "Baby Detect" dépiste 165 pathologies et le test de Guthrie, 23. Certaines sont les mêmes...

Aymeric Harmant : Oui, parmi les 165, on a voulu reprendre à peu près toutes les maladies du Guthrie, non pas pour le remplacer - c'est important de le préciser -, mais pour valider notre propre test, s'assurer que les résultats sont cohérents et que, s'il y a des dissonances, celles-ci soient bien comprises. C'est bien ce qui s'est passé, les deux tests confirment ainsi leur complémentarité. Pour certaines maladies, le Guthrie conventionnel est meilleur, il est déjà plus rapide, et moins cher aussi, ce sont deux avantages. Par contre, il est limité par la technologie puisqu'il se base sur des indicateurs biochimiques, or toutes les maladies n'ont pas ce type de marqueur. Le test "Baby Detect" se base sur le séquençage de l'ADN et aborde donc le dépistage sous un autre angle.

Il faut savoir que pour le screening conventionnel, chaque pays à sa propre liste de maladies : il y en a 23 en Belgique - et ce n'est pas tout à fait la même chose entre la Communauté flamande et la Fédération Wallonie Bruxelles ; au Luxembourg, en 2025, ils dépistent six maladies. Donc, d'un pays à l'autre, ça peut être très différent. En Belgique nous sommes plutôt bien lotis, mais d'autres pays, comme l'Italie, en dépistent une quarantaine. La difficulté, si on veut augmenter le nombre de maladies dans le dépistage conventionnel, c'est que le coût augmente à chaque maladie qu'on ajoute. Avec le "Baby Detect", qui se base sur le séquençage de l'ADN, il n'y a pas de coût supplémentaire si on ajoute des maladies : les milliards de données du séquençage, traités par l'intelligence artificielle, permettent de faire sortir les données qui nous intéressent sur les maladies qu'on a choisies. Si demain un nouveau traitement apparaît et est remboursé en Belgique pour une 166e maladie, on peut l'inclure dans le test sans coût supplémentaire.

Le jdM: Mais on n'ajoutera une maladie que si on a un traitement pour la prendre en charge ?

A.H. : Exactement, c'est vraiment un choix conscient et réfléchi. On ne veut pas mettre des parents devant une situation où on leur dit : "Désolé, votre enfant est atteint d'une maladie, mais il n'y a rien à faire" ou "Il y a un traitement, mais aux États-Unis, et il coûte 3 millions de dollars." Nos critères sont : une maladie traitable ou qui peut être prise en charge à un coût abordable ; une maladie grave et pédiatrique, c'est-à-dire qui se déclenche avant 5 ans - on ne va pas chercher un risque de cancer à 40 ans ou un risque d'Alzheimer à 60 ans ; on doit, dans notre équipe, avoir un pédiatre spécialisé pour épauler les maternités dans lesquelles un bébé porteur d'une maladie serait né. Dernier critère : l'analyse génétique doit permettre de dépister la maladie avec une fiabilité très grande, avec un risque réel. Si une anomalie génétique ne provoque la maladie que dans 10 % des cas, on ne va pas la sélectionner parce qu'on aurait énormément de faux positifs, on stresserait les parents pour rien et on surchargerait les hôpitaux et le système de santé.

Le jdM : Sur les 3.847 bébés dépistés sur lesquels porte l'étude de 18 mois, 71 cas ont été dépistés, dont 44 cas de "G6PD" (maladie appelée aussi "favisme") et 27 autres. Qu'avez-vous découvert comme autres pathologies, et notamment non détectées par le Guthrie ?

Pr Laurent Servais : Un peu de tout : des mucoviscidoses, hémophilies, glycogénoses, cardiomyopathies familiales... Plus récemment - et donc ce cas n'est pas repris dans la publication dans Nature -, nous avons trouvé un Wilson. Certaines pathologies sont aussi dépistées par le test classique de Guthrie, comme la mucoviscidose, mais lui ont échappé. Sur les 44 cas de "G6PD", 10 n'avaient pas été dépistés par Guthrie, et parmi les 27 autres cas, 20 n'ont été dépistés que par le "Baby Detect". Sur les 71 cas au total, 41 ont été dépistés uniquement par Baby Detect.

Le Pr Laurent Servais, DR
Le Pr Laurent Servais © DR

A.H. : Dans le cas de la maladie de Wilson dépistée récemment, elle est prise en charge par le Dr Debray, du CHU de Liège, qui en a l'expertise. Tant les parents et que le médecin sont reconnaissants d'avoir pu la dépister car cette maladie est extrêmement difficile à diagnostiquer; elle aurait sans doute pris des années avant d'être diagnostiquée, avec une errance thérapeutique difficile. Une autre patiente de 20 ans, qui avait été dépistée à l'âge de 5 ans seulement et qui a beaucoup souffert, est décédée quelques jours avant le dépistage de ce bébé...

Le jdM : N'y a -t-il pas un risque de dépister souvent les mêmes pathologies sous nos latitudes et de ne jamais en voir d'autres parmi les 126 que permet le test ?

Pr L.S. : Oui, tout à fait, mais ce n'est pas grave : dans le dépistage classique, si vous dépistez maladie par maladie, vous pouvez vous demander si ça vaut vraiment la peine d'inclure telle maladie rare ; Quand vous êtes dans une approche comme celle de "Baby Detect", la notion de 'rareté' n'existe plus car de toute façon, vous pouvez l'inclure dans le test, ça ne coûte pas un centime plus cher et ce n'est pas plus compliqué. Et donc vous pouvez vous dire : "Ok, même si on ne la trouve qu'une fois tous les dix ans, ce n'est pas grave, j'assume, mais je préfère ne pas la rater." Cela revient au même prix de screener 130 ou 140 maladies, même si certaines sont très rares.

Le jdM : D'où l'intérêt aussi, pour Thameus, de partager le test avec un maximum d'autres médecins dans le monde pour enrichir nos connaissances sur les maladies rares ?

Pr L.S. : Tout à fait, et trouver aussi des variants différents. Nous avons déjà des contacts avec des hôpitaux étrangers intéressés, qui ont vraiment envie de collaborer, notamment un hôpital public indien à Mumbai (ex-Bombay, NdlR) qui désire implémenter ce genre de technique.

A peu près deux tiers des maternités en Fédération Wallonie-Bruxelles ont été informées de l'existence du test, et toutes ont montré leur intérêt. Une quinzaine de maternités le proposent déjà depuis quelques semaines." - Aymeric Harmant.

Le jdM : Et au Royaume-Uni ? Vous en parlez autour de vous à l'Université d'Oxford ?

Pr L.S. : En Angleterre, ils ont une autre approche avec "Genomics England", qui propose un programme un peu similaire mais qui utilise une autre technique, plus large: le "Whole genome sequencing". Cette société se propose de garder les résultats de l'enfant pour une période quasi indéterminée, comme ça, si plus tard il est malade - même d'une maladie non traitable -, on peut retourner à ses résultats de naissance. Et si on trouve une pathologie traitable, on s'y attaque. C'est une approche différente, avec ses avantages et inconvénients. Un des premiers problèmes, c'est la quantité de données générées en Whole genome sequencing, mais aussi le problème de stockage et d'accès à ces données. Jusqu'ici, leur taux d'acceptation à leur étude est bien inférieure au nôtre.

Le jdM : Le séquençage peut-il se faire dans n'importe quel laboratoire ?

A.H. : Aujourd'hui, l'Unilab du CHU de Liège est le seul laboratoire capable de faire ce test. Si la demande pour ce test est de 2.000 par an, ça n'a aucun sens que chacun des six laboratoires de dépistage néonatal en Belgique mette un processus en place pour faire 200 ou 300 tests par an, ça va donc rester centralisé à Liège. Mais si le test était un jour remboursé pour tous les bébés, ça veut dire qu'il y en aurait 100.000 par an, dans ce cas-là, notre savoir-faire serait partagé avec les autres laboratoires.

Aymeric Harmant, Thameus
Aymeric Harmant © Thameus

Le jdM : Existe-t-il encore d'autres approches de dépistage génomique comme celle de l'Angleterre ou le "Baby Detect" dans le monde ?

Pr L.S. : Oui, environ 23 programmes ont émergé. Tous n'ont pas commencé, certains n'en sont encore qu'au stade de l'intention. Nous avons deux ans de screening, donc nous avons une longueur d'avance. Le screening génomique à la naissance suscite un besoin de compréhension général.

Le jdM : L'idée fondatrice du test "Baby Detect" est de pouvoir agir au plus tôt pour freiner l'évolution de la maladie...

Pr L.S. : Oui, c'est d'essayer, si nous avons des traitements efficaces, de les donner au meilleur moment. On a beaucoup d'exemples de maladies où le temps est un facteur clé et où une fois qu'on est sorti d'une fenêtre d'opportunité, il est trop tard ou, en tout cas, les résultats sont beaucoup moins bons. Les maladies dépistées par "Baby Detect" en sont typiques. Par exemple, une maladie de Wilson peut mener à une greffe de foie, avec des troubles neuropsychologiques majeurs. L'objectif est d'essayer d'agir avant que les troubles ne soient présents et malheureusement irréversibles.

A.H. : Je peux prendre un exemple très concret, qui est d'ailleurs à l'origine du projet "Baby Detect". En 2018, le Pr Servais travaillait sur l'amyotrophie spinale. Jusqu'en 2016, il n'y avait pas de traitement pour cette maladie neurodégénérative grave des muscles chez l'enfant ; Les enfants, malheureusement, décédaient avant l'âge de 5-6 ans. Depuis, des traitements existent, qui fonctionnent bien et qui arrêtent le développement de la maladie. Mais leur efficacité est terriblement dépendante du moment où on les démarre. Un traitement débuté de façon préventive à la naissance va permettre à beaucoup d'enfants d'avoir une vie tout à fait normale. Par contre, si on attend l'apparition des premiers symptômes à l'âge de 8-9 mois et qu'on commence à donner le traitement une fois que le diagnostic est confirmé à 10-11 mois, le traitement stoppe l'évolution de la maladie, mais ne permet pas de revenir en arrière. On a le cas, dans une fratrie où on a détecté la maladie du premier enfant, un petit garçon, à l'âge d'un an et qui a reçu le traitement à cet âge, et sa petite soeur, atteinte elle aussi et dépistée à la naissance, qui a reçu tout de suite le traitement : on voit la différence entre les deux, ils ont 7-8 ans aujourd'hui, le petit garçon est en chaise roulante avec encore une mobilité des bras, et la petite fille a une motricité normale comme tous les enfants de son âge.

Le jdM : Par ailleurs, plus on dépistera de patients atteints de maladies rares, plus on pourra nourrir la recherche fondamentale...

Pr L.S. : Tout à fait car on va pouvoir comprendre beaucoup mieux l'incidence de ces maladies mais aussi celle de leurs variants. On se doute que beaucoup de cas, parmi ces maladies rares, sont non diagnostiqués, ou sont atypiques et on les connait donc moins bien, effectivement. Nous espérons que le dépistage génomique nous permettra d'avoir une vision panoramique de ces maladies. C'est un bénéfice associé, même si ce n'est pas l'objectif principal de notre recherche.

Le jdM : Dans l'étude parue dans Nature Medicine, vous évoquez les "défis dans l'interprétation des variantes au sein d'une population présymptomatique, et dans la communication des résultats et la confirmation du diagnostic"...

Pr L.S. : Nous avons tous de nombreuses variantes dans notre génome, ce n'est pas un secret, et la plupart sont non pathogènes. Mais un certain nombre peuvent l'être... Le problème, c'est qu'entre les variants qui sont toujours pathogènes et ceux qui ne le sont jamais, il y a une marge, une zone de gris... La question est : à quelle nuance de gris rapportons-nous la maladie ? Dans quelle marge en faisons-nous part aux parents et les prenons-nous en charge ? Cela devient quasi une sorte de choix philosophique... Le choix philosophique que nous avons posé d'emblée est de rapporter uniquement les variants dont nous sommes sûrs qu'ils sont pathologiques, car nous sommes toujours dans une phase pilote exploratoire, un peu pionnière, et que la meilleure manière de tuer le projet serait d'encombrer les consultations à l'hôpital avec des mamans anxieuses, alors que nous n'avons rien d'objectif et que nous en sommes seulement à vérifier un peu près tout. Nous essayons d'avoir le moins de faux positifs possibles, quitte à devoir malheureusement accepter d'avoir de temps en temps un faux négatif. D'autres ont fait un choix moins conservateur ; notamment une équipe américaine, qui a publié un projet un peu similaire où, eux, ils ont 17 % de faux positifs... Il s'agit donc de savoir où l'on place le curseur. Pour ma part, je pense que c'est une cible en mouvement, c'est-à-dire qu'il est aujourd'hui raisonnable de mettre le curseur de manière très conservatrice et, au fil de nos apprentissages, nous pourrons nous permettre d'être, peut-être, moins conservateurs pour placer le curseur.

Le jdM : Le NBS génomique a un potentiel considérable, mais sa mise en oeuvre pratique est complexe, dites-vous dans Nature...

Pr L.S. : Non seulement à cause de l'interprétation des variants, mais aussi pour tout un tas de raisons. La première est d'ordre économique : le test est quand même relativement cher ; la deuxième en termes d'infrastructures : si on veut dépister tous les nouveau-nés, il faut des séquenceurs, des gens qui suivent et ça devient une grosse entreprise. Il faut aussi, derrière, que les médecins soient formés à la prise en charge de ce genre de traitement ou de prise en charge présymptomatique. Ici, nous l'avons fait à l'échelle d'une petite communauté, avec une communauté médicale déjà bien imprégnée de cette culture et qui a participé à la sélection des gènes. Ce sera plus compliqué quand nous serons à l'échelle d'un pays.

Il faut aussi se mettre bien d'accord sur la liste de gènes et de variants, sur la façon de communiquer avec les familles et, individuellement, pour chacune de ces maladies, sur le parcours de soins du patient pour qu'il soit homogène à travers le pays. Donc ce sont de grands défis. Je ne dis pas qu'ils sont insurmontables, ils sont tous, un par un, surmontables car, à mon sens, il n'y a pas d'autre futur que celui-là, c'est une évidence. La question tient davantage à : en combien de temps allons-nous pouvoir le généraliser, et comment prenons-nous en charge chacun de ces obstacles ? Pour, in fine, en faire une véritable stratégie à l'échelle de la société pour prendre en charge, de la manière la plus efficace et la moins chère possible, les maladies rares graves.

Les résultats de l'étude pilote du test de dépistage néonatal par séquençage ADN "Baby Detect" sont parus dans Nature Medicine le 28 janvier. Le test, mis au point par le CHU de Liège, a déjà été effectué sur près de 6.000 nourrissons, et a permis de dépister davantage de pathologies que le conventionnel " NBS " par test de Guthrie. Pourquoi dépister toutes ces maladies rares et graves, et quels enjeux de société ce test implique-t-il ? Faut-il le généraliser à tous les nouveau-nés et à quel prix ? Sommes-nous prêts ? Le journal du Médecin fait point avec le Pr Laurent Servais, neuropédiatre, professeur de pathologies neuromusculaires pédiatriques à l'Université d'Oxford et professeur de neurologie pédiatrique à l'ULiège, et avec Aymeric Harmant, CEO de Thameus, la spin-off en charge de la diffusion du test "Baby Detect" avec d'autres acteurs médicaux à travers le monde.Le journal du Médecin : le test "Baby Detect" dépiste 165 pathologies et le test de Guthrie, 23. Certaines sont les mêmes...Aymeric Harmant : Oui, parmi les 165, on a voulu reprendre à peu près toutes les maladies du Guthrie, non pas pour le remplacer - c'est important de le préciser -, mais pour valider notre propre test, s'assurer que les résultats sont cohérents et que, s'il y a des dissonances, celles-ci soient bien comprises. C'est bien ce qui s'est passé, les deux tests confirment ainsi leur complémentarité. Pour certaines maladies, le Guthrie conventionnel est meilleur, il est déjà plus rapide, et moins cher aussi, ce sont deux avantages. Par contre, il est limité par la technologie puisqu'il se base sur des indicateurs biochimiques, or toutes les maladies n'ont pas ce type de marqueur. Le test "Baby Detect" se base sur le séquençage de l'ADN et aborde donc le dépistage sous un autre angle.Il faut savoir que pour le screening conventionnel, chaque pays à sa propre liste de maladies : il y en a 23 en Belgique - et ce n'est pas tout à fait la même chose entre la Communauté flamande et la Fédération Wallonie Bruxelles ; au Luxembourg, en 2025, ils dépistent six maladies. Donc, d'un pays à l'autre, ça peut être très différent. En Belgique nous sommes plutôt bien lotis, mais d'autres pays, comme l'Italie, en dépistent une quarantaine. La difficulté, si on veut augmenter le nombre de maladies dans le dépistage conventionnel, c'est que le coût augmente à chaque maladie qu'on ajoute. Avec le "Baby Detect", qui se base sur le séquençage de l'ADN, il n'y a pas de coût supplémentaire si on ajoute des maladies : les milliards de données du séquençage, traités par l'intelligence artificielle, permettent de faire sortir les données qui nous intéressent sur les maladies qu'on a choisies. Si demain un nouveau traitement apparaît et est remboursé en Belgique pour une 166e maladie, on peut l'inclure dans le test sans coût supplémentaire.Le jdM: Mais on n'ajoutera une maladie que si on a un traitement pour la prendre en charge ?A.H. : Exactement, c'est vraiment un choix conscient et réfléchi. On ne veut pas mettre des parents devant une situation où on leur dit : "Désolé, votre enfant est atteint d'une maladie, mais il n'y a rien à faire" ou "Il y a un traitement, mais aux États-Unis, et il coûte 3 millions de dollars." Nos critères sont : une maladie traitable ou qui peut être prise en charge à un coût abordable ; une maladie grave et pédiatrique, c'est-à-dire qui se déclenche avant 5 ans - on ne va pas chercher un risque de cancer à 40 ans ou un risque d'Alzheimer à 60 ans ; on doit, dans notre équipe, avoir un pédiatre spécialisé pour épauler les maternités dans lesquelles un bébé porteur d'une maladie serait né. Dernier critère : l'analyse génétique doit permettre de dépister la maladie avec une fiabilité très grande, avec un risque réel. Si une anomalie génétique ne provoque la maladie que dans 10 % des cas, on ne va pas la sélectionner parce qu'on aurait énormément de faux positifs, on stresserait les parents pour rien et on surchargerait les hôpitaux et le système de santé.Le jdM : Sur les 3.847 bébés dépistés sur lesquels porte l'étude de 18 mois, 71 cas ont été dépistés, dont 44 cas de "G6PD" (maladie appelée aussi "favisme") et 27 autres. Qu'avez-vous découvert comme autres pathologies, et notamment non détectées par le Guthrie ?Pr Laurent Servais : Un peu de tout : des mucoviscidoses, hémophilies, glycogénoses, cardiomyopathies familiales... Plus récemment - et donc ce cas n'est pas repris dans la publication dans Nature -, nous avons trouvé un Wilson. Certaines pathologies sont aussi dépistées par le test classique de Guthrie, comme la mucoviscidose, mais lui ont échappé. Sur les 44 cas de "G6PD", 10 n'avaient pas été dépistés par Guthrie, et parmi les 27 autres cas, 20 n'ont été dépistés que par le "Baby Detect". Sur les 71 cas au total, 41 ont été dépistés uniquement par Baby Detect.A.H. : Dans le cas de la maladie de Wilson dépistée récemment, elle est prise en charge par le Dr Debray, du CHU de Liège, qui en a l'expertise. Tant les parents et que le médecin sont reconnaissants d'avoir pu la dépister car cette maladie est extrêmement difficile à diagnostiquer; elle aurait sans doute pris des années avant d'être diagnostiquée, avec une errance thérapeutique difficile. Une autre patiente de 20 ans, qui avait été dépistée à l'âge de 5 ans seulement et qui a beaucoup souffert, est décédée quelques jours avant le dépistage de ce bébé...Le jdM : N'y a -t-il pas un risque de dépister souvent les mêmes pathologies sous nos latitudes et de ne jamais en voir d'autres parmi les 126 que permet le test ?Pr L.S. : Oui, tout à fait, mais ce n'est pas grave : dans le dépistage classique, si vous dépistez maladie par maladie, vous pouvez vous demander si ça vaut vraiment la peine d'inclure telle maladie rare ; Quand vous êtes dans une approche comme celle de "Baby Detect", la notion de 'rareté' n'existe plus car de toute façon, vous pouvez l'inclure dans le test, ça ne coûte pas un centime plus cher et ce n'est pas plus compliqué. Et donc vous pouvez vous dire : "Ok, même si on ne la trouve qu'une fois tous les dix ans, ce n'est pas grave, j'assume, mais je préfère ne pas la rater." Cela revient au même prix de screener 130 ou 140 maladies, même si certaines sont très rares.Le jdM : D'où l'intérêt aussi, pour Thameus, de partager le test avec un maximum d'autres médecins dans le monde pour enrichir nos connaissances sur les maladies rares ?Pr L.S. : Tout à fait, et trouver aussi des variants différents. Nous avons déjà des contacts avec des hôpitaux étrangers intéressés, qui ont vraiment envie de collaborer, notamment un hôpital public indien à Mumbai (ex-Bombay, NdlR) qui désire implémenter ce genre de technique.Le jdM : Et au Royaume-Uni ? Vous en parlez autour de vous à l'Université d'Oxford ?Pr L.S. : En Angleterre, ils ont une autre approche avec "Genomics England", qui propose un programme un peu similaire mais qui utilise une autre technique, plus large: le "Whole genome sequencing". Cette société se propose de garder les résultats de l'enfant pour une période quasi indéterminée, comme ça, si plus tard il est malade - même d'une maladie non traitable -, on peut retourner à ses résultats de naissance. Et si on trouve une pathologie traitable, on s'y attaque. C'est une approche différente, avec ses avantages et inconvénients. Un des premiers problèmes, c'est la quantité de données générées en Whole genome sequencing, mais aussi le problème de stockage et d'accès à ces données. Jusqu'ici, leur taux d'acceptation à leur étude est bien inférieure au nôtre.Le jdM : Le séquençage peut-il se faire dans n'importe quel laboratoire ?A.H. : Aujourd'hui, l'Unilab du CHU de Liège est le seul laboratoire capable de faire ce test. Si la demande pour ce test est de 2.000 par an, ça n'a aucun sens que chacun des six laboratoires de dépistage néonatal en Belgique mette un processus en place pour faire 200 ou 300 tests par an, ça va donc rester centralisé à Liège. Mais si le test était un jour remboursé pour tous les bébés, ça veut dire qu'il y en aurait 100.000 par an, dans ce cas-là, notre savoir-faire serait partagé avec les autres laboratoires.Le jdM : Existe-t-il encore d'autres approches de dépistage génomique comme celle de l'Angleterre ou le "Baby Detect" dans le monde ?Pr L.S. : Oui, environ 23 programmes ont émergé. Tous n'ont pas commencé, certains n'en sont encore qu'au stade de l'intention. Nous avons deux ans de screening, donc nous avons une longueur d'avance. Le screening génomique à la naissance suscite un besoin de compréhension général.Le jdM : L'idée fondatrice du test "Baby Detect" est de pouvoir agir au plus tôt pour freiner l'évolution de la maladie...Pr L.S. : Oui, c'est d'essayer, si nous avons des traitements efficaces, de les donner au meilleur moment. On a beaucoup d'exemples de maladies où le temps est un facteur clé et où une fois qu'on est sorti d'une fenêtre d'opportunité, il est trop tard ou, en tout cas, les résultats sont beaucoup moins bons. Les maladies dépistées par "Baby Detect" en sont typiques. Par exemple, une maladie de Wilson peut mener à une greffe de foie, avec des troubles neuropsychologiques majeurs. L'objectif est d'essayer d'agir avant que les troubles ne soient présents et malheureusement irréversibles.A.H. : Je peux prendre un exemple très concret, qui est d'ailleurs à l'origine du projet "Baby Detect". En 2018, le Pr Servais travaillait sur l'amyotrophie spinale. Jusqu'en 2016, il n'y avait pas de traitement pour cette maladie neurodégénérative grave des muscles chez l'enfant ; Les enfants, malheureusement, décédaient avant l'âge de 5-6 ans. Depuis, des traitements existent, qui fonctionnent bien et qui arrêtent le développement de la maladie. Mais leur efficacité est terriblement dépendante du moment où on les démarre. Un traitement débuté de façon préventive à la naissance va permettre à beaucoup d'enfants d'avoir une vie tout à fait normale. Par contre, si on attend l'apparition des premiers symptômes à l'âge de 8-9 mois et qu'on commence à donner le traitement une fois que le diagnostic est confirmé à 10-11 mois, le traitement stoppe l'évolution de la maladie, mais ne permet pas de revenir en arrière. On a le cas, dans une fratrie où on a détecté la maladie du premier enfant, un petit garçon, à l'âge d'un an et qui a reçu le traitement à cet âge, et sa petite soeur, atteinte elle aussi et dépistée à la naissance, qui a reçu tout de suite le traitement : on voit la différence entre les deux, ils ont 7-8 ans aujourd'hui, le petit garçon est en chaise roulante avec encore une mobilité des bras, et la petite fille a une motricité normale comme tous les enfants de son âge.Le jdM : Par ailleurs, plus on dépistera de patients atteints de maladies rares, plus on pourra nourrir la recherche fondamentale...Pr L.S. : Tout à fait car on va pouvoir comprendre beaucoup mieux l'incidence de ces maladies mais aussi celle de leurs variants. On se doute que beaucoup de cas, parmi ces maladies rares, sont non diagnostiqués, ou sont atypiques et on les connait donc moins bien, effectivement. Nous espérons que le dépistage génomique nous permettra d'avoir une vision panoramique de ces maladies. C'est un bénéfice associé, même si ce n'est pas l'objectif principal de notre recherche.Le jdM : Dans l'étude parue dans Nature Medicine, vous évoquez les "défis dans l'interprétation des variantes au sein d'une population présymptomatique, et dans la communication des résultats et la confirmation du diagnostic"...Pr L.S. : Nous avons tous de nombreuses variantes dans notre génome, ce n'est pas un secret, et la plupart sont non pathogènes. Mais un certain nombre peuvent l'être... Le problème, c'est qu'entre les variants qui sont toujours pathogènes et ceux qui ne le sont jamais, il y a une marge, une zone de gris... La question est : à quelle nuance de gris rapportons-nous la maladie ? Dans quelle marge en faisons-nous part aux parents et les prenons-nous en charge ? Cela devient quasi une sorte de choix philosophique... Le choix philosophique que nous avons posé d'emblée est de rapporter uniquement les variants dont nous sommes sûrs qu'ils sont pathologiques, car nous sommes toujours dans une phase pilote exploratoire, un peu pionnière, et que la meilleure manière de tuer le projet serait d'encombrer les consultations à l'hôpital avec des mamans anxieuses, alors que nous n'avons rien d'objectif et que nous en sommes seulement à vérifier un peu près tout. Nous essayons d'avoir le moins de faux positifs possibles, quitte à devoir malheureusement accepter d'avoir de temps en temps un faux négatif. D'autres ont fait un choix moins conservateur ; notamment une équipe américaine, qui a publié un projet un peu similaire où, eux, ils ont 17 % de faux positifs... Il s'agit donc de savoir où l'on place le curseur. Pour ma part, je pense que c'est une cible en mouvement, c'est-à-dire qu'il est aujourd'hui raisonnable de mettre le curseur de manière très conservatrice et, au fil de nos apprentissages, nous pourrons nous permettre d'être, peut-être, moins conservateurs pour placer le curseur.Le jdM : Le NBS génomique a un potentiel considérable, mais sa mise en oeuvre pratique est complexe, dites-vous dans Nature...Pr L.S. : Non seulement à cause de l'interprétation des variants, mais aussi pour tout un tas de raisons. La première est d'ordre économique : le test est quand même relativement cher ; la deuxième en termes d'infrastructures : si on veut dépister tous les nouveau-nés, il faut des séquenceurs, des gens qui suivent et ça devient une grosse entreprise. Il faut aussi, derrière, que les médecins soient formés à la prise en charge de ce genre de traitement ou de prise en charge présymptomatique. Ici, nous l'avons fait à l'échelle d'une petite communauté, avec une communauté médicale déjà bien imprégnée de cette culture et qui a participé à la sélection des gènes. Ce sera plus compliqué quand nous serons à l'échelle d'un pays. Il faut aussi se mettre bien d'accord sur la liste de gènes et de variants, sur la façon de communiquer avec les familles et, individuellement, pour chacune de ces maladies, sur le parcours de soins du patient pour qu'il soit homogène à travers le pays. Donc ce sont de grands défis. Je ne dis pas qu'ils sont insurmontables, ils sont tous, un par un, surmontables car, à mon sens, il n'y a pas d'autre futur que celui-là, c'est une évidence. La question tient davantage à : en combien de temps allons-nous pouvoir le généraliser, et comment prenons-nous en charge chacun de ces obstacles ? Pour, in fine, en faire une véritable stratégie à l'échelle de la société pour prendre en charge, de la manière la plus efficace et la moins chère possible, les maladies rares graves.