Début 2022, une réforme poussée par le ministre bruxellois de la Santé Alain Maron supprimait la prime d'installation Impulseo I à Bruxelles-Capitale et la remplaçait par une subvention limitée accordée aux pratiques multidisciplinaires. Rapidement attaqué par un recours de l'Absym Bruxelles, ce nouveau mécanisme est aujourd'hui annulé. Le ministre s'était octroyé trop de marge d'appréciation...
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Par un arrêté du 27 janvier 2022 du Collège réuni, la Cocom avait remplacé la prime d'installation (Impulseo) par un nouveau mécanisme de subvention pour soutenir les jeunes médecins sur le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale. En bref, l'arrêté prévoyait l'octroi d'une subvention, dans les limites des crédits disponibles, qui s'élève à maximum 150.000 ? avec la possibilité allant jusqu'à 225.000 ? si l'installation de la structure multidisciplinaire s'effectue dans un quartier en pénurie. Dans son arrêt n°260.657 du 18 septembre 2024, le Conseil d'État a annulé ce nouveau régime jugé illégal. Alors que l'objectif poursuivi par la Cocom était de stimuler les professionnels de santé à s'associer avec d'autres praticiens en vue d'exercer dans la région bruxelloise, la suppression de la prime Impulseo I a suscité de vives réactions de la part des syndicats de médecins (lire la couverture de votre JDM n°2704). Ils soutenaient que les conditions d'octroi de la prime à l'installation favorisaient les structures multidisciplinaires au détriment d'autres formes de pratiques et d'installation (solo, pratiques de groupe monodisciplinaires, et toutes autres formes d'associations de médecins...). En outre, cette logique ne correspondait pas, selon eux, à la pratique actuelle des jeunes médecins qui, bien souvent, travaillent ensemble sans pour autant entrer dans des maisons médicales. Selon certains observateurs, ces nouvelles conditions d'aide à l'installation risquaient notamment d'entrainer une fuite des médecins bruxellois qui favoriseraient la périphérie immédiate de Bruxelles pour bénéficier des primes individuelles de la Région wallonne. Interrogé à ce propos, le ministre bruxellois de la Santé Alain Maron, avait précisé que la réforme en question visait "à augmenter le soutien à l'installation des pratiques de groupe, à l'acte ou au forfait et à garder le soutien à l'installation des jeunes médecins dans les quartiers en pénurie.Les moyens [auraient été] garantis et augmentés pour pouvoir offrir un vrai soutien à l'installation suite aux concertations menées avec les jeunes médecin". Dès l'entrée en vigueur de l'arrêté du 27 janvier 2022 du Collège réuni de la Cocom, l'Absym Bruxelles a introduit un recours en annulation devant le Conseil d'État. Sans revenir en détail sur les arguments juridiques avancés par les requérants dans leur recours, revenons sur le raisonnement de la haute juridiction administrative qui l'a conduite à annuler l'arrêté en question. Il convient de garder à l'esprit que le Conseil d'État examine la légalité des actes administratifs et vérifie si l'acte attaqué ne présente aucune illégalité qui serait externe ou, comme en l'espèce, interne. En adoptant l'arrêté du 27 janvier 2022, le Collège réuni de la Cocom exécute l'article 14 de l'ordonnance du 4 avril 2019 relative à la politique de première ligne sociale-santé. Cette disposition délègue au Collège réuni le soin d'établir les règles relatives au subventionnement, aux conditions de subventionnement et à la procédure de demande et d'attribution du subside pour les acteurs de la première ligne. Autrement dit, les acteurs de la première ligne exerçant sur le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale peuvent, à certaines conditions, bénéficier d'un subside dont il revient au Collège réuni de déterminer les conditions d'octroi. L'arrêté contesté devant le Conseil d'État mettait en oeuvre cette faculté. Il prévoyait notamment que le montant maximum de la subvention diffère selon que l'installation se fait dans un "quartier en pénurie" ou pas. L'arrêté créait donc une différence de traitement entre les médecins généralistes qui s'installent dans ces quartiers et les autres médecins généralistes. L'existence d'une différence de traitement ne suffit pas pour établir une discrimination. Encore faut-il analyser si la différence de traitement, entre les deux catégories de personnes, repose sur un critère objectif et qu'elle soit raisonnablement justifiée. À cet égard, comme le rappelle le Conseil d'État, "pour être qualifié d'objectif, un critère de distinction ne peut donc être laissé à l'appréciation subjective de l'autorité". Or en l'espèce, la notion de "quartier en pénurie" de médecins généralistes n'est définie, ni dans l'arrêté attaqué, ni dans l'ordonnance du 4 avril 2019, de sorte que le Conseil d'État considère que la définition de cette notion est laissée à l'appréciation subjective du ministre. Pour ce motif, il annule l'arrêté du 27 janvier 2022. Alors que le ministre Maron déclarait qu'"avec cette réforme, nous passons d'une logique de prime, octroyée sans justification, à une logique de subvention, avec une meilleure vue sur ce qui est fait avec l'argent public", force est de constater que l'arrêté annulé prévoyait une trop grande marge d'appréciation au ministre bruxellois de la Santé pour la détermination des critères d'octroi de la subvention. Cette annulation du Conseil d'État a pour conséquence de faire disparaitre l'arrêté de l'ordre juridique et est censé n'avoir jamais existé. Il revient donc à l'équipe gouvernementale bruxelloise en formation de remettre le travail sur l'ouvrage en créant un mécanisme permettant de pallier la pénurie de médecin dans certains quartiers tout en permettant aux jeunes médecins d'exercer leur pratique en conservant une qualité de vie privée et un bon équilibre entre vie professionnelle et vie privée.