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Promenons-nous d'abord dans Graz, la deuxième plus grande ville d'Autriche, entourée de montagnes enneigées qui forment la frontière avec l'Italie et la Slovénie. Graz présente beaucoup de ce que l'on pourrait appeler l'Autriche typique. Maisons en pain d'épice, châteaux baroques, opéra classique, boutiques débordant de tradition, de la tarte Sacher aux "Lederhosen et Dirndls" (costumes et robes bavarois), de restaurants proposant des schitzels et des brasserie "Hofbrauhaus" avec de grandes chopes de bière. Mais la ville a aussi une particularité, et c'est ce qui la rend si fascinante: une superbe architecture contemporaine a donné un coup de jeune à Graz et lui a ouvert l'esprit. La Murinsel, par exemple, une île artificielle en aluminium, reliée par deux passerelles aux rives du Mur qui coupe la ville en deux. C'est un endroit agréable, avec une boutique de design, un café servant des vins autrichiens sélectionnés et, en été, une terrasse où de petits concerts animent les soirées. L'attraction principale est toutefois le Kunsthaus, érigé par les architectes Peter Cook & Colin Fournier en 2003 le long de la rivière à l'occasion de "Graz, capitale culturelle de l'Europe". Vu des collines environnantes, on dirait que des extraterrestres ont atterri ici entre les toits rouges avec un vaisseau spatial biomorphique fait d'acier et de verre qui a la forme d'un gros ver frétillant avec des tentacules semblables à des pieuvres. Les habitants ont pris le Kunsthaus à coeur. Le centre des arts est le coeur battant qui a permis à la ville de s'aligner d'un seul coup sur la modernité. C'est là que les jeunes de Graz se réunissent le soir au café du Kunsthaus et que se tiennent les expositions particulièrement belles. Amazons of Pop n'est pas une simple redite des expositions précédentes à Nice et à Kiel. Les conservateurs en ont créé une version autrichienne particulièrement fascinante. L'exposition, dont les contours ont déjà été dessinés il y a quatre ans - avant MITO -, se passe d'un certain nombre de prémisses, comme le pop art est purement américaine, ou le pop art est un monde d'hommes. De nombreuses artistes féminines européennes sont montées sur les barricades du pop art depuis le début des années 60. Le mot peut même être pris au pied de la lettre lorsqu'on voit Niki de Saint Phalle, pistolet à l'épaule, gonfler des ballons remplis de peinture comme une forme extrême d'action painting. L'exposition montre avec beaucoup de conviction comment les artistes féminines de 1961 à 1973 ont contribué à écrire l'histoire du pop art en tant que pionnières féministes, remettant en question le modèle de la femme et de la muse. Ils travaillaient souvent de manière autobiographique, abolissaient les frontières entre les différents genres, utilisaient différents matériaux, provoquaient avec leur corps et leur sexualité, et démolissaient la déclaration d'Andy Warhol: " le pop art est un monde d'hommes". C'est une exposition éblouissante dans laquelle on voit aussi les icônes de l'époque, Brigitte Bardot, Jane Fonda, Emma Peel, Marilyn Monroe, Yoko Ono, mais aussi, par exemple, Valentina Tereshkova, qui fut la première femme cosmonaute à être envoyée dans l'espace en 1963. Le tout sur fond de progrès technologique, de consommation de masse, mais aussi de guerres (Indochine, Algérie, Vietnam) et... de crise pétrolière de 1973, qui signe la fin du pop art et envoie aux oubliettes les artistes féminines qui ont contribué à fonder ce mouvement artistique. Le commerce de l'art était une affaire d'hommes, Warhol, Liechtenstein, Wesselman, Oldenburg sont devenus les visages du pop art. Et c'est ainsi qu'il y a quelques années encore, on pouvait acheter les oeuvres de nombreuses femmes artistes pour quelques centaines d'euros, alors que pour les oeuvres de Warhol et co, il fallait débourser plusieurs millions d'euros. Prenons l'exemple de deux artistes féminines belges qui sont très présentes dans l'exposition: Evelyn Axelle et Martine Canneel. Ces dernières années, Axelle est devenue l'un des porte-drapeaux du pop art féminin, mais il y a dix ou quinze ans, on pouvait acheter ses oeuvres pour presque rien. Elle a contribué à façonner les premières années du pop art mais est décédée en 1972 dans un accident de la route. Martine Canneel, dont le magnifique travail est présenté dans cette exposition emblématique, était complètement absente du radar. Les expositions précédentes à Nice et à Kiel ont montré que les jeunes femmes et les étudiants pouvaient vraiment apprécier l'exposition. Ce n'est pas si évident car les amazones du pop art ont utilisé d'autres armes dans leur lutte d'émancipation et ont souvent aussi jeté sans honte leur propre corps et leur propre sexualité dans la mêlée. Cette exposition dans un bâtiment particulièrement branché vaut le détour. C'est la seule ou dernière fois que vous pourrez voir l'exposition car elle ne voyagera plus après cela.