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Le journal du Médecin: Quel bilan tirez-vous de vos 13 années à la présidence du CSS? Jean Nève: J'ai connu une période d'intenses mutations. Le CSS est une très vieille institution qui a fonctionné à l'ancienne pendant pas mal de temps mais qui, depuis une petite quinzaine d'années, a revu sa façon de fonctionner. Nous avons modernisé l'institution, et c'était nécessaire. D'autant plus que se sont développées entre temps d'autres institutions, comme le KCE, l'AFMPS. Cela nous a permis de modifier certaines procédures, dont la déclaration et la gestion des conflits d'intérêts. C'est une des grandes réalisations du CSS ces dernières années. C'était important, car c'était un reproche à l'encontre des avis du CSS. Chaque fois que nous sortions un rapport, on nous brandissait ces fameux conflits d'intérêts des experts. Je me rappelle du rapport sorti sur le tabac où nous avions eu des reproches sur tel expert qui avait collaboré avec l'industrie du tabac et tel autre qui était contre. Cela partait dans tous les sens. Ce n'était pas possible, pour le CSS, que des conflits d'intérêts influent sur les avis scientifiques. Nous avons donc mis au point des procédures claires de déclaration des intérêts et de gestion de ces conflits. Nous étions parmi les premiers à développer cette approche. Encore à l'heure actuelle, nous sommes les seuls à gérer de telle manière les conflits d'intérêts. Ces derniers sont déclarés, mais aussi évalués. La vaccination, par exemple, est un domaine sensible. Le tabac, la cigarette électronique, le nucléaire également, et cela nous a parfois attiré les foudres des firmes ou des politiques. Cette transition vers plus de transparence s'est-elle déroulée sans heurts? Nos experts étaient, au départ, réticents à déclarer leurs intérêts. Nous avons eu du mal à les convaincre. Mais ils ont finalement accepté. Nous avons mis sur pied une commission de déontologie. Laurette Onkelinx, ministre de la Santé à l'époque, avait beaucoup apprécié nos travaux. Elle a proposé une loi visant à renforcer la transparence, l'indépendance et la crédibilité des décisions prises et avis rendus dans le domaine de la santé publique, de l'assurance-maladie, de la sécurité de la chaîne alimentaire et de l'environnement, qui s'inspire beaucoup de notre méthodologie et qui a été votée par le Parlement en 2013. La ministre De Block a par la suite bloqué cette loi qui ne plaisait pas aux libéraux flamands. La loi n'a jamais eu d'arrêté d'application. Le ministre Vandenbroucke n'y a pas encore touché malgré quelques appels du pied. Quel est le rôle du CSS en matière de vaccination? Yves Van Laethem: Le CSS est responsable du calendrier vaccinal en Belgique. Et il est l'organe consultatif pour toutes les questions liées à la vaccination. Les autorités doivent passer par l'organe pour avis. C'est un rôle important de filtrage. La majorité du temps, les autorités suivent nos conseils. Le CSS est le lien entre les firmes qui veulent que leurs vaccins soient employés et la manière dont ces vaccins sont utilisés en santé publique. La vaccination est une matière très éclatée en Belgique. Comment faites vous pour rendre des avis "nationaux"? Y.V.L.: C'était à l'origine une matière fédérale. Elle s'est régionalisée et communautarisée par la suite. Le Fédéral fournit encore une partie des fonds nécessaires aux programmes de vaccination. C'est une sauce à la belge, où chaque entité a un rôle à jouer. J.N.: Il y a donc parfois des différences dans les décisions prises par les autorités, alors que les rapports rédigés par le CSS sont les mêmes. Ces différences sont surtout constatées au niveau du remboursement (quand? à quel niveau? ). Il y a indubitablement des différences entre Belges. Il y a des communautés qui remboursent davantage, ou à des âges différents. Y.V.L.: C'est aussi le cas de l'implication de la médecine scolaire par exemple, qui n'est pas la même en Flandre par rapport à la Wallonie. Cet ensemble de facteurs conduit à des résultats de vaccination différents entre les régions et communautés. Comment avez-vous vécu le covid? J.N.: Il y a eu différentes étapes. D'abord la révélation du covid en Chine. Nos ministres eux-mêmes n'ont pas cru au danger. Nos experts étaient partagés. Y.V.L.: Il faut être honnête, peu de gens pensaient que cela irait aussi loin. Certains minimisaient, d'autres pensaient que c'était un problème sérieux. Mais l'ampleur de la vague, personne ne la vue venir. J.N.: Nos premiers rapports concernaient les moyens de défense et l'hygiène, domaine dans lequel nos avis sont importants. Cela a concerné les masques et l'hygiène hospitalière. Y.L.V.: Il faut savoir que ce que la section hygiène du CSS a force de loi. Le CSS a là un rôle décisif. Très vite sont venues les discussions sur les vaccins. Les premiers vaccins sont arrivés en janvier 2021. Et dès août-septembre, au moment où l'on était sûr que tels types de vaccins seraient présents, on a commencé à définir les groupes à risque, etc. Et quel fournisseur privilégier? Y.L.V.: Pas du tout. C'était dans les mains de l'Union européenne. Il y avait, de plus, une Task force vaccination pour le côté opérationnel, qui n'est pas notre travail. Notre travail était de définir les groupes à risque et le côté scientifique de la vaccination. Nous avons également beaucoup discuté avec le monde politique. C'est probablement la fois où nous avons eu le plus d'interactions avec le politique qui était heureusement en demande d'informations. J.N.: Nous avons connu des moments très délicats avant l'apparition des vaccins. Comme le manque de respirateurs ou quel patient privilégier. Il s'agissait de questions éthiques importantes. Nous avons également donné des conseils aux médecins généralistes, aux dentistes et même aux croquemorts! Par contre, le CSS n'a pas eu d'avis sur la distanciation sociale ou le lockdown. J.N.: Effectivement. Mais, dans l'abondance d'experts qu'a connu cette période de pandémie, on a souvent demandé au CSS de trancher. Est-ce qu'il n'y a pas eu une crise de l'expertise au moment où tout le monde se proclamait expert? Y.V.L.: Les experts qui faisaient partie du CSS n'ont pas eu de problèmes en interne. On connaissait bien sûr la critique, encore plus forte côté néerlandophone par ailleurs, mais il n'y a jamais eu, au sein des groupes d'experts, de crise. Cela a plutôt été l'occasion de montrer que nous étions capables de sortir des avis bien documentés malgré les difficultés de se reposer sur une littérature grise. Nous avons eu un travail incessant de production où la vieille dame a prouvé qu'elle pouvait encore faire un marathon. J.N.: Au début, nous avions choisi une politique de discrétion pour ne pas ajouter de la confusion à la confusion. Nous avons privilégié le travail avec Sciensano, avec les épidémiologistes, avec le KCE. Cela a démontré la force du conseil: ses avis sont portés par un ensemble d'experts, et non un expert seul qui parle en son nom. Comment les experts combinent le travail que demande le CSS avec leur pratique? Y.V.L.: Cela demande une disponibilité qui n'est pas toujours évidente. C'est une difficulté pour certains, notamment les plus jeunes, d'autant plus que c'est du bénévolat pour l'immense majorité du travail. Il y a des frais de déplacement, un défraiement. Cela ne nous coûte rien, mais cela ne nous rapporte rien non plus. Or, la rentabilité existe partout. Dans les hôpitaux également. C'est donc plus facile lorsque l'on est pensionné comme je le suis. Cela est un frein pour réaliser des avis d'envergure? J.N.: Non, car il y a des moyens dévolus au conseil, qui dépend du SPF Santé publique. Le problème, on en parle peu, mais je pense que tout le monde le constate, est que l'État désinvestit les administrations. On réduit les budgets de fonctionnement des ministères. Nous avons perdu, sous ma présidence, un quart de notre budget et un quart de notre personnel. Il y a un manque d'intérêt des jeunes? Y.V.L.: On sait que les jeunes recherchent un mode de vie plus rationnel et cherchent une meilleure qualité de vie. Mais les employeurs ont également changé. Je l'ai constaté avec les hôpitaux. Ils sont beaucoup moins souples et ne permettent plus autant que par le passé de participer à des réunions qui ne rapportent pas à l'hôpital. L'un dans l'autre, il manque évidemment du temps pour être expert actif.