Le mot "guerre" ne devrait pas être lancé à la légère. Je regrette ce titre trop vite annoncé à la fin de l'article précédent. Il convient mal à des disputes sans commune mesure avec les violences guerrières d'une brûlante actualité.
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Je réponds donc d'emblée à la question: il n'y pas de guerre. La paix des prélèvements d'honoraires existe depuis le début de l'assurance maladie-invalidité en Belgique, avec des moments de crise et de rares accès de violence verbale, mais rien de plus. À nous de maintenir cette paix par un subtil mélange d'ouverture d'esprit et de fermeté. Au début de cette année, l'Absym-BVAS a provoqué une réunion de la Commission nationale médico-mutualiste, en présence du ministre, pour cause de deux points de rupture potentielle de la convention. Le premier a été traité ("Comment protéger les plus faibles financièrement?", lire jdm 2740). Nous abordons le second, la demande insistante de l'Absym-BVAS d'un cadre légal clair en matière de rétrocession des honoraires à l'hôpital. Il s'agit d'enfin concrétiser un AR d'exécution de l'article 155 § 3 de la Loi sur les hôpitaux. Ce texte important vise à plus de transparence sur les flux financiers par l'inscription des montants effectivement liés à la pratique médicale sous forme de frais directs dans des postes comptables précis, par opposition aux frais indirects trop aisément mis dans des catégories fourre-tout. Cela correspond d'ailleurs à l'esprit de la loi: les prélèvements sur honoraires doivent servir aux activités médicales, étant entendu que d'autres activités indispensables au bon fonctionnement de l'hôpital relèvent du budget des moyens financiers, décidé par le gouvernement. Tout cela peut paraître très technique et réservé aux experts. En fait, ces règles juridiques et comptables ne vont pas sans implications concrètes à travers tout le système des soins de santé. Aucun pouvoir ne s'exerce en vase clos. Le face-à-face entre les conseils médicaux et les gestionnaires hospitaliers le confirme. Les recettes et dépenses de l'hôpital dépendent certes des qualités intrinsèques du personnel médical et paramédical, des services techniques et des managers, mais aujourd'hui les décisions prises au niveau politique, normes salariales, indexation des honoraires, suppression ou réduction de remboursement... entraînent quasi systématiquement une augmentation des dépenses et une réduction des recettes. D'où le cercle vicieux de l'accroissement des prélèvements sur les honoraires, en ce compris sur les mal nommés suppléments, rigidement limités au choix d'une chambre à un lit. Ces prélèvements ont aussi leurs répercussions sur les rapports entre médecins puisque certaines spécialités subissent plus que d'autres les modalités de rétrocession acceptées par le conseil médical. Les conseils médicaux et les gestionnaires finissent toujours par s'entendre, mais pas à la satisfaction de tous. Les médecins qui peuvent se passer de l'hôpital s'installent dans d'autres lieux de pratique pour éviter les prélèvements excessifs. Cette tendance n'est pas nécessairement mauvaise, car pourquoi faire à l'hôpital ce qui peut se faire dans de plus petites structures? D'où les débats suscités par les techniques innovantes offrant de nombreux examens et traitements à l'extérieur de l'hôpital. Encore faut-il que l'assurance maladie les rembourse, une demande souvent contrecarrée par le protectionnisme des associations d'hôpitaux. Mais la société aura toujours besoin d'infrastructures hospitalières et de leurs spécialités spécifiques, chirurgicales, interventionnelles, urgentistes, intensivistes... Pour preuve, le dynamisme de groupes hospitaliers capables de se projeter dans l'avenir avec de nouvelles constructions et de profondes réorganisations. J'ai interrogé le directeur de l'un d'eux sur cette question des prélèvements. Il considère les négociations avec les médecins essentielles et pour lui, si le cadre légal importe, une autre condition de réussite pèse davantage: la capacité volontariste des médecins de dépasser les tensions entre disciplines et de saisir leurs complémentarités pour s'entendre autour des questions d'argent. Certaines spécialités bien remboursées, plutôt techniques, bénéficient du travail d'autres, plutôt cliniques, très importantes pour l'attractivité de l'institution mais nettement moins bien rémunérées. L'esprit d'équipe entre médecins de spécialités différentes débouche sur la constitution classique de pools d'honoraires permettant à chacun d'y trouver son compte. Il n'y a pas de doute, les syndicats médicaux qui, comme l'Absym-BVAS, veulent une juste valorisation financière des médecins, devront rester très fermes sur le respect des accords et sur la clarification de la loi en matière de prélèvements. Mais cette fermeté ne sera perçue que si une majorité de consoeurs et de confrères manifestent leur attachement aux principes fondamentaux du système dans lequel ils exercent leur métier: liberté de choix pour les malades et les médecins, diversité de pratiques, accessibilité de tous à des soins de qualité. Au minimum en participant aux élections médicales, au mieux en se faisant membres pour réfléchir avec leurs collègues aux moyens de préserver les bons côtés des soins de santé belges et d'en corriger les défauts.