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Un coeur fatigué, usé. Voilà comment on désigne communément l'insuffisance cardiaque (IC). Cette maladie chronique grave et évolutive résulte de l'incapacité du coeur à assurer correctement sa fonction de pompe. Cette description de l'insuffisance cardiaque avait été revue et précisée en 2016 par la Société européenne de cardiologie (ESC), qui l'avait alors définie comme un syndrome clinique s'articulant autour de l'association de trois critères: des symptômes, tels une dyspnée ou des oedèmes aux chevilles ; des signes cliniques comme un épanchement pleural ou de la tachycardie ; enfin, des preuves objectives d'une anomalie structurelle ou fonctionnelle du coeur. Au-delà de la mise en exergue de ces critères, la définition "historique" de l'insuffisance cardiaque n'a pas évolué en 2016 ni depuis, dans la mesure où le niveau de la fraction d'éjection ventriculaire gauche (FEVG) en demeure l'élément cardinal. Toutefois, dans ses dernières recommandations datant de 2021, l'ESC distingue trois formes d'insuffisance cardiaque: l'IC à fraction d'éjection réduite, c'est-à-dire inférieure à 40%, l'IC à fraction d'éjection préservée, supérieure à 50%, mais aussi, catégorie intermédiaire, l'IC à fraction d'éjection modérément altérée- cette dernière est alors comprise entre 41 et 49%. Précédemment, on considérait que les IC à fraction d'éjection réduite, d'une part, et à fraction d'éjection préservée, d'autre part, représentaient chacune environ la moitié des cas. Ces chiffres ont été revus: selon les nouvelles estimations, quelque 40% des cas sont attribués à la première, plus ou moins 55% à la deuxième, 5 à 10% allant à la forme intermédiaire. En Belgique, 250.000 personnes souffrent d'insuffisance cardiaque et l'on prévoit une augmentation de la prévalence de la maladie de 30 à 40% à l'horizon de 10 à 15 ans, principalement pour deux raisons majeures: le vieillissement de la population et la meilleure prise en charge des syndromes coronariens (infarctus du myocarde), lesquels constituent une des principales causes de l'affection avec l'hypertension mal contrôlée. L'incidence est également élevée avec, en moyenne, 40 nouveaux cas par jour, Par ailleurs, l'IC entraîne une altération de la qualité de vie et se caractérise par des taux d'hospitalisation élevés au point d'être le premier motif d'hospitalisation chez les plus de 65 ans. Enfin, elle est associée à un sombre pronostic, puisque, statistiquement, la survie à cinq ans après le diagnostic n'atteint pas 40%. À cela se greffe le coût socio-économique de la maladie, qui, en Belgique, est de l'ordre de 2% (environ 300 millions ?) du budget global de la santé. Les hospitalisations à elles seules sont à l'origine de 60% des dépenses liées à l'IC. D'après l'étude américaine de Christopher M. O'Connor et collaborateurs (2010), un patient sur quatre est réhospitalisé dans le mois suivant sa sortie de l'hôpital et un patient sur deux dans les deux mois. Ces chiffres ont été confirmés à l'échelon européen en 2014 par une étude dirigée par Martin R. Cowie, de l'Imperial College London. De surcroît, les statistiques de l'Inami nous apprennent qu'en 2019, soit avant la pandémie de Covid-19, la Belgique enregistra 25.147 hospitalisations pour IC, d'une durée moyenne de 11 jours. Le coût total moyen d'une hospitalisation s'élevait à 7.527 euros, de sorte que le coût global de ces séjours (honoraires et produits pharmaceutiques compris) se chiffrait à plus de 189 millions d'euros. "Le nombre d'hospitalisations est de deux par patient et par an, mais on estime que 50% des réadmissions pourraient être évitées car elles sont liées à la non-compliance et la non-adhérence aux traitements qui ont été prescrits", souligne le Dr Pierre Troisfontaines, chef du service de cardiologie du CHR de la Citadelle, à Liège, et responsable de son Centre de l'insuffisance cardiaque. Un insuffisant cardiaque, il est vrai, doit souvent prendre de cinq à dix médicaments par jour et respecter des mesures hygiéno-diététiques strictes. Aux termes des dernières recommandations de l'ESC, la première étape du diagnostic d'IC doit porter sur l'anamnèse afin d'identifier les éventuels facteurs de risque, signes et symptômes, sur la réalisation d'un électrocardiogramme ainsi que sur la prescription d'une radiographie du thorax et d'une biologie sanguine: hémoglobine, formule sanguine, fonction hépatique et ionogramme, glycémie, profil lipidique, fonction thyroïdienne, recherche d'une carence martiale et dosage des peptides natriurétiques (BNP et NT-proBNP). Ces recommandations relèvent de la classe I (ce qui doit être fait) et le médecin généraliste y est considéré comme un acteur de première ligne dans leur mise en oeuvre. "Si, en se fondant sur l'examen clinique et l'histoire du patient, il suspecte une insuffisance cardiaque, son intervention (électrocardiogramme, analyse sanguine, demande de radiographie, orientation du patient vers un cardiologue) peut permettre un gain de temps appréciable dans la démarche diagnostique et la prise en charge par le spécialiste", insiste Pierre Troisfontaines. En l'absence du remboursement espéré et attendu depuis 2008, le dosage des peptides natriurétiques n'est pas toujours réalisé par les médecins généralistes. Il s'assimile néanmoins à une véritable plus-value non seulement comme aide au diagnostic, mais en outre pour déterminer la sévérité de la pathologie et le pronostic qui lui est associé, ainsi que pour stratifier le risque encouru par le patient. "Le dosage du BNP ou du NT-proBNP permet notamment d'éviter des hospitalisations inadéquates. Il s'avère également d'une grande utilité dans le suivi thérapeutique. Par exemple, des études ont montré que les patients qui gardent des taux élevés de peptides natriurétiques à la fin d'une hospitalisation pour insuffisance cardiaque sont à haut risque de décès ou de réhospitalisation", indique le Dr Pierre Troisfontaines. Dans les dernières recommandations de l'ESC, l'échographie cardiaque demeure la pierre angulaire de la mise au point diagnostique. C'est elle qui permet d'identifier la catégorie d'IC- à FEVG réduite, modérément altérée ou préservée- dont souffre le patient. Viendront ensuite d'autres examens si elle n'a pu préciser la cause de l'IC. Justement, quel est le statut des différents examens complémentaires? Les recommandations de 2021 énumèrent notamment les conditions dans lesquelles un cathétérisme cardiaque droit, un coroscanner ou une coronarographie doivent être considérés. Il s'agit à chaque fois de recommandations de classe IIa (ce qui devrait être envisagé) ou IIb (ce qui peut être envisagé), avec des ajustements par rapport aux anciennes recommandations. C'est à ce stade qu'un élément nouveau doit être souligné: le recours à l'IRM cardiaque occupe désormais une place plus importante dans le diagnostic. Son utilisation est jugée nécessaire chez les patients qui ne sont pas échogènes à l'échographie, en général comme conséquence d'un surpoids. "D'autre part, la qualité des images fournies par l'IRM permet aujourd'hui de caractériser le tissu myocardique en cas de suspicion de maladie infiltrative du coeur, de maladie de Fabry, d'inflammation (myocardite), de sarcoïdose ou encore d'hémochromatose", explique le Dr Troisfontaines. En outre, l'IRM doit être envisagée (classe IIa) dans les cardiomyopathies dilatées en tant qu'outil permettant d'opérer la distinction entre dommages myocardiques ischémiques et non-ischémiques. Dans la recherche de l'origine d'une insuffisance cardiaque, les recommandations sont d'abord d'exclure une maladie coronarienne et une cause toxique, mais également la présence d'une des formes réversibles d'IC, celles qui sont susceptibles d'autoriser la récupération d'une fonction cardiaque normale après correction du problème de base. Il peut alors s'agir d'une cardiomyopathie éthylique, d'une myocardite virale, du syndrome de Tako-Tsubo (cardiopathie du stress), d'une cardiomyopathie du peripartum ou encore d'une tachycardiomyopathie. "Cette dernière concerne notamment des patients faisant de la fibrillation auriculaire à réponse ventriculaire rapide mal contrôlée", commente Pierre Troisfontaines. L'ESC insiste de surcroît sur l'importance d'identifier précocement les possibles comorbidités- diabète, BPCO et autres maladies pulmonaires, hypertension, présence d'une maladie coronarienne sous-jacente, obésité et surpoids, maladie valvulaire, apnées du sommeil, anémie et carence en fer, insuffisance rénale, syndrome dépressif et autres affections neurologiques. À nouveau, le médecin traitant a un rôle important à jouer. Il consiste à identifier toutes les comorbidités et à les prendre en charge. Il est essentiel également de déterminer quelles sont les interactions éventuelles qu'elles entretiennent avec la fonction cardiaque, et ce, dans une perspective tant de définition d'un traitement que de démarche diagnostique. Par exemple, il est primordial de savoir si la dyspnée d'un patient a pour origine des problèmes pulmonaires ou cardiaques. Quoi qu'il en soit, face à toute suspicion d'insuffisance cardiaque, le médecin généraliste est appelé à intervenir dans la démarche diagnostique et dans le suivi du patient IC, mais aussi dans l'optimisation du traitement en collaboration avec l'équipe hospitalière. "Il fait pleinement partie de la prise en charge pluridisciplinaire que préconisent les recommandations", conclut le Dr Troisfontaines.