Depuis 2010, le Patient numérique - devenu entre-temps WeLink.Care - propose une série de symposiums internationaux consacrés à l'innovation dans le secteur de la santé. Pour cette édition 2024, l'objectif était d'aborder l'IA au-delà du mythe. De porter un regard posé et critique sur la technologie et la manière dont elle influence le secteur de la santé. C'est dans ce cadre que le Dr Arnaud Wilmet, Chief Medical Information Officer (CMIO) chez Microsoft, a présenté un outil qui permet de réaliser une consultation augmentée par l'IA.
...
Une première question vous vient sûrement en tête. Pourquoi réaliser une consultation augmentée par l'IA, quel en serait l'avantage? Très brièvement, l'IA en santé, en 2024, est surtout utile pour diminuer les tâches rébarbatives. La technologie aidera donc, dans un premier temps, à octroyer davantage de temps aux médecins. "Tout le monde a entendu parler de l'IA générative il y a deux ans", explique le Dr Arnaud Wilmet, médecin généraliste de formation et CMIO chez Microsoft. "Cette technologie a deux grandes fonctions: la synthèse d'informations et la génération de contenu."Les médecins ont tout intérêt à utiliser cette technologie au quotidien sachant qu'ils passent un temps non négligeable à rédiger des rapports. Aux États-Unis, où la solution existe déjà, Microsoft a sondé 879 médecins issus de 340 institutions en juillet 2024. Résultat: DAX Copilot - c'est le nom de la technologie - permet de gagner cinq minutes par patient. 70% des sondés expriment que leur balance vie professionnelle/vie privée s'est améliorée. 77% disent que les documents produits sont de meilleure qualité. Dans un autre sondage, cette fois conduit sur patients de médecins utilisant DAX Copilot, 93% des répondants estiment que leur médecin est plus aimable et parle davantage. Les chiffres, c'est bien beau, mais cela donne quoi, concrètement? Le généraliste français a simulé une consultation avec une de ses collègues devant les 375 personnes venues assister au symposium. Bien sûr, il est épaulé par le fameux DAX Copilot. "Cette solution, qui existe depuis trois ans aux États-Unis, arrive en Europe en français, en néerlandais, en allemand", prévient Arnaud Wilmet, qui présente donc une version bêta de l'outil. "Le médecin généraliste voit aujourd'hui entre 15 et 20 patients par demi-journée. Pour chaque patient, j'ai la possibilité de dicter du contenu directement dans le dossier patient grâce à la reconnaissance vocale, soit d'écrire du texte", recontextualise le généraliste. "Avec cette nouvelle technologie (qu'il utilise via une app sur son smartphone, NdlR), je n'ai plus besoin d'ordinateur. Je reviens aux fondamentaux de la médecine, à la relation avec le patient."Cette consultation fictive (réalisée avec le consentement préalable qui est demandé à chaque enregistrement), effectuée en direct, est une succession de maux divers: la patiente se présente avec un problème à l'oreille droite (otite diagnostiquée), mais elle présente aussi un diabète, du cholestérol, une dépression, des allergies, une consommation de tabac, d'alcool,... Le médecin en profite aussi pour faire une ordonnance de vaccin contre la grippe, faire un ECG, histoire d'être bien complet! Tout cet exercice pour montrer que Copilot fait bien son travail. En quelques minutes, l'IA propose un compte rendu structuré. "Il y a plusieurs technologies à l'ouvrage: de l'IA ambiante, de l'IA générative, de la reconnaissance vocale...Tout cela permet de proposer un script en temps réel de la conversation et un rapport structuré", détaille le CMIO de Microsoft. "Je n'aurais pas pu réaliser un compte rendu aussi précis en aussi peu de temps sans la technologie. Cette dernière permet d'avoir un texte quasiment prêt à être validé. Il y a toujours une garantie humaine derrière: ce n'est pas un dispositif médical, mais bien une synthèse d'informations. À moi de décider si j'ai besoin de faire des modifications."Pour continuer l'expérience, le Dr Wilmet ajoute justement un complément d'informations: sa patiente a oublié de lui parler de sa nouvelle montre qui l'irrite. La technologie a repris les nouvelles informations et modifié le compte rendu en quelques minutes. "Ici, j'ai un peu forcé le système pour noter des choses que le logiciel avait oublié de reprendre lors de la consultation initiale, notamment le contexte social", explique Arnaud Wilmet. Copilot permet la personnalisation. Si le compte rendu de base ne convient pas et que le médecin a sa façon de faire, il est possible de changer de style. "Il y a une fonction d'assistant qui permet de faciliter le travail. On peut appliquer différents styles au compte rendu: d'un style narratif, on peut adopter un autre format. Grâce à l'IA générative, et grâce à toute une stratégie de prompting, on a la possibilité de construire son propre modèle de consultation.""On peut également, via ces fonctions d'assistant, rédiger automatiquement un courrier pour un confrère. Je peux aussi rédiger un courrier pour ma patiente, qu'elle peut reprendre chez elle, dans un vocabulaire qu'elle comprend", ajoute le Dr Wilmet. Pris par le temps, il n'a malheureusement pas été plus loin dans ces fonctionnalités. "C'est un vrai changement de paradigme. Grâce à l'IA, on peut passer plus de temps avec le patient, car il ne faut plus se préoccuper de rentrer des informations. La collecte d'informations se fait automatiquement, et il n'y a pas d'incohérences dans ce que l'IA propose. Ce n'est que le début: plus les modèles vont s'améliorer, plus ils seront pertinents", conclut le CMIO de Microsoft. Lors de la présentation, deux limites nous sont venues à l'esprit. Premièrement, le médecin, s'il n'est pas caché derrière son écran, est tout de même influencé par la technologie. Son langage semblait trop technique, inapproprié au patient. Deuxièmement, le compte rendu est structuré, certes, mais il n'est pas structuré de manière à pouvoir être implémenté tel quel dans un DMI. Il faut encore travailler pour avoir un Sumehr, pour pouvoir échanger des données structurées avec un confrère. Pour donner de la valeur ajoutée au compte rendu. Le Dr Philippe Devos, directeur général d'Unessa, connaît bien cette technologie pour avoir déjà vu une présentation à Chicago. "L'application est capable de ne garder que les informations utiles et faire le tri entre le nécessaire et l'accessoire", rassure-t-il. "Cependant, il y a encore des points d'amélioration. Durant la présentation actuelle, j'ai remarqué que l'application avait noté un médicament dans un conditionnement qui n'existe pas. Il faut donc être attentif. On peut donc encore mieux faire. Mais franchement, si cela peut aider à ce que le médecin n'ait plus besoin d'avoir son écran devant lui en consultation, pour recommencer à avoir une relation les yeux dans les yeux avec le patient, c'est un grand pas pour la qualité de travail.""Il faut que cela soit compatible avec le RGPD", confie quant à lui le Dr Giovanni Briganti, psychiatre et surtout Data Scientist bien connu dans le milieu de l'IA. "Cependant, l'information structurée est très utile pour le médecin. Elle sert le médecin car il gagne du temps. Elle lui est utile aussi pour la communication interprofessionnelle. Et elle est la base des données de santé. La rédaction du rapport est vraiment chronophage, surtout quand on n'a pas de secrétaire. Avoir une application à disposition qui peut résumer ce qui se passe durant la consultation permet, non pas de gagner du temps, mais de se focaliser sur la relation avec le patient. Aujourd'hui, le médecin n'est finalement rémunéré que pour les 20 minutes qu'il passe avec le patient, et non pas pour le temps qu'il passe à rédiger un compte rendu. Et le temps passé avec le patient ne constitue finalement que 30 à 40% du temps de travail de médecin. Ce qui est très peu. Ce genre d'outil permet finalement d'avoir une journée de travail plus humaine."Le Dr Alexandre Hébert, directeur général aux affaires médicales de Vivalia, abonde en ce sens. "Pour un service tel que les urgences par exemple, cela fait gagner un temps précieux."