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"L e tableau uniformément négatif que les médias brossent de Cureghem est assez décourageant", commente le Dr Jo Butaye, qui a contribué à développer la maison médicale. "C'est typiquement un quartier de transit, où les gens ne restent souvent pas habiter bien longtemps. Quand j'ai commencé à travailler ici, en 1979, la population se composait encore largement de Belges de souche. Aujourd'hui, elle recouvre des dizaines de nationalités. Et non, tout n'est vraiment pas tout noir!" Medikuregem n'a en tout cas pas chômé depuis sa création. Depuis qu'elle est passée au système forfaitaire, en 2008, la maison médicale a fortement élargi son équipe, qui compte désormais trois infirmières (dont une s'apprête à terminer sa formation d'éducatrice diabète), trois sages-femmes, une diététicienne, un assistant social, une promotrice de santé, toute une équipe d'accueil qui assure parfois aussi la médiation interculturelle, une coordinatrice, des collaborateurs techniques et administratifs... en plus, évidemment, de ses sept médecins et deux MGFP. "Il y a plusieurs niveaux dans les soins de santé", explique Rodino Sayala, l'assistant social. "Les personnes confrontées à la pauvreté cumulent souvent encore une foule d'autres problèmes: de mauvaises conditions de logement, des factures d'énergie élevées, une alimentation malsaine, des problèmes de santé..." Le Dr Butaye abonde dans son sens: "Quand on a des soucis plein la tête, on oublie souvent de prendre soin de soi. On se focalise tellement sur ses problèmes qu'on ne pense pas à sa tension ou à ses problèmes de poids.""Les personnes qui peuvent profiter de certains avantages (une allocation, un tarif social...) ignorent souvent leurs droits. Elles ne savent pas qu'elles doivent introduire une demande. Je suis là pour les y aider", poursuit Rodino Sayala. Sur plus de 4.000 patients inscrits chez Medikuregem, il en voit chaque année environ 120, ce qui représente quelque 600 contacts. "Certains viennent pour un problème unique - une lettre de la mutuelle qu'ils ne comprennent pas, par exemple - que nous les aidons alors à résoudre. La pauvreté est toutefois un véritable réseau d'exclusion. Au-delà des problèmes d'argent, il y a les disputes conjugales, les difficultés scolaires des enfants, les conflits avec telle ou telle instance... il faut souvent une aide à toute une série de niveaux." La concertation fait partie intégrante du travail quotidien . "Il faudra par exemple contacter le CPAS pour une question qui concerne un patient. On a toutefois aussi une fonction de signal, on sonde les possibilités de solutions plus structurelles, on développe un réseau de contacts et de services qui pourront lui apporter une aide supplémentaire." Ces innombrables coups de fil sont évidemment passablement chronophages. "Le SPF Personnes Handicapées organise aujourd'hui régulièrement une permanence chez nous. De quoi m'épargner des heures au téléphone!""Conseiller reste toutefois le coeur de ma mission. J'aide les gens à identifier leurs points forts, j'essaie de rétablir leur estime de soi pour qu'ils puissent recommencer à faire des projets et à avancer." C'est un travail extrêmement gratifiant, souligne l'assistant social. "Après nos conversations, les gens se sentent mieux et on voit qu'il y a du progrès, même si une grande partie continuent à venir et que ma clientèle grandit d'année en année."Le Dr Butaye n'est pas peu fier du développement du cabinet au cours des 15 dernières années ; en tant que maison médicale, il a notamment commencé à se focaliser davantage sur le quartier. Même si la médecine reste évidemment sa mission première, une foule de projets sont ainsi venus s'y ajouter au fil du temps, de "Cureghem propre" à la Maison des Familles qui accompagne les jeunes mamans. "Nos sages-femmes collaborent avec celles de De Brug - une autre maison médicale néerlandophone de Molenbeek - autour du concept de CenteringPregnancy, un accompagnement de groupe assuré jusqu'après la naissance à plusieurs femmes qui en sont au même stade de leur grossesse. Nous travaillons aussi avec Médecins du Monde, qui est en train d'aménager un nouveau centre tout près de la Gare du Midi. Nous avons pris le développement en mains et nous avons veillé à ce que plusieurs psychologues puissent organiser une consultation dans leurs locaux, car notre quartier en a vraiment besoin. Deux psychologues passent dans notre maison médicale toutes les semaines, l'un rattaché à un centre de soins de santé mentale qui assure une demi-journée de consultations chez nous, l'autre financé au départ de notre forfait.""Deux de nos infirmières se rendent aussi chaque semaine quelques heures à l'asbl Doucheflux, où les sans-abri peuvent aller gratuitement prendre une douche, laver leurs affaires et boire un café. Nos infirmières en profitent pour faire un check-up et réfèrent les personnes qui souffrent de problèmes médicaux à l'hôpital ou à Médecins du Monde." En sus de nombreuses autres initiatives au bénéfice des habitants du quartier, Medikuregem contribue aussi à améliorer la première ligne bruxelloise au travers de projets en collaboration avec la Huis voor Gezondheid et le cercle de médecine générale flamand de la capitale (BHAK). Jo Butaye vie et travaille à Cureghem depuis 43 ans. "Le quartier a longtemps été laissé à l'abandon par les pouvoirs publics, mais on a heureusement recommencé à y investir. La situation s'améliore et je suis convaincu que notre maison médicale polyvalente y a contribué!" La retraite approche aujourd'hui à grands pas pour ce généraliste très apprécié de ses patients, ce qui lui vaut souvent des réactions très touchantes. "Les gens sont toutefois aussi attachés au centre de santé dans son ensemble, qui restera toujours leur maison."