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"D epuis longtemps, on a montré que quand on expose des staphylocoques dorés intracellulaires à des antibiotiques, on n'arrive jamais à les éradiquer complètement. On a beau utiliser des antibiotiques très puissants à des concentrations très élevées, il subsiste toujours un petit foyer de bactéries intracellulaires impossible à déloger. Nous avons pu élucider les raisons de ce phénomène ", explique la Pr Françoise Van Bambeke du Louvain Drug Research Institute de l'UCLouvain 1. Ce travail est le fruit d'une collaboration internationale avec des chercheurs de l'Institut Pasteur de Paris, une chercheuse en Allemagne et un autre en Estonie. Comment ont-ils travaillé ? Frédéric Peyrusson et Tiep Khac Nguyen, doctorants au sein de l'équipe du Pr Van Bambeke, ont utilisé une technique récente qui consiste à faire exprimer une protéine fluorescente par les staphylocoques dorés. Si ces derniers continuent à se multiplier, cette protéine se dilue entre les bactéries filles et le signal de fluorescence s'amenuise petit à petit. En revanche, si elles ne se multiplient plus, ce signal reste concentré dans la bactérie mère. " Grâce à cette technique, on a pu démontrer que les bactéries qui survivaient après un traitement aux antibiotiques étaient celles qui ne s'étaient pas divisées. Autrement dit, ces bactéries étaient entrées dans une sorte d'état dormant : elles sont vivantes (sur une boîte de pétri, elles repoussent), mais dans l'environnement intracellulaire exposé aux antibiotiques, elles ne se multiplient pas. " Quels sont les mécanismes en jeu ? " Grâce à une analyse transcriptomique (étude de l'expression des gènes), on a montré que les bactéries ralentissent de façon très importante tous les gènes liés au métabolisme normal (synthèse des protéines, des parois...). Ce qui peut expliquer pourquoi elles ne sont pas sensibles aux antibiotiques parce que, pour qu'ils fonctionnent, il faut que ces synthèses soient actives. Ce qui est intéressant c'est qu'en parallèle, elles activent d'autres voies métaboliques, en particulier celles de la réponse au stress, ce qui leur permet de sentir que l'antibiotique est toujours présent dans leur environnement ", précise-t-elle. Ceci entraîne deux conséquences : " Si vous arrêtez le traitement antibiotique, les bactéries ne sentent plus le stress dans leur environnement, elles reviennent à leur état initial et recommencent à se multiplier et donc potentiellement à réactiver l'infection. C'est comme un interrupteur, et ceci, quel que soit l'antibiotique. Si vous exposez à un premier antibiotique, la bactérie développe une tolérance à tous les antibiotiques. " " Par ailleurs, et c'est aussi assez inquiétant, si on induit la réponse au stress dans les bactéries, on peut favoriser le développement de certains mécanismes de résistance. Ceci fait l'objet d'une autre étude en cours ", apprend Françoise Van Bambeke. " Ces bactéries seraient non seulement endormies et ne répondraient plus à l'antibiotique mais en plus, elles pourraient favoriser l'évolution vers des formes résistantes si la pression est maintenue... " Il s'agit donc de deux mécanismes différents : dans la tolérance, la bactérie tolère la présence de l'antibiotique mais elle ne se multiplie plus, elle constitue une sorte de foyer dormant. Ce phénomène est complètement réversible, contrairement à la résistance où la bactérie développe un mécanisme qui la rend insensible à un antibiotique, au point qu'en sa présence, elle continue à se multiplier. L'exposition aux antibiotiques n'est pas le seul facteur de stress pour les bactéries, qui doivent déjà affronter les cellules immunitaires dont l'une des fonctions est précisément de les éliminer. " Ici, on a montré que quand les cellules immunitaires sont moins agressives (par exemple, chez les patients immunodéprimés ou dans certains tissus comme les cellules cardiaques dans les endocardites, les cellules osseuses dans l'ostéomyélite, etc.), leur premier job n'est pas la défense contre les bactéries. Elles peuvent les accepter en intracellulaire mais n'ont pas des moyens de défense très puissants. C'est dans ces cellules-là qu'on a observé une synergie entre le stress imposé par la cellule et celui imposé par l'antibiotique. " Ces travaux ouvrent une perspective pour la recherche : " Nous avons identifié la cause de la récidive de certaines infections à staphylocoque doré et on a montré que lors de ce phénomène de tolérance, de dormance, certaines voies métaboliques s'éteignent mais d'autres s'allument. C'est un espoir parce que cela offre des pistes pour la recherche de médicaments qui agiraient spécifiquement sur ces voies-là : on pourrait combiner un médicament qui empêcherait les bactéries de s'endormir et qui restaurerait leur sensibilité aux antibiotiques. " " Dans le monde, certains labos ont déjà identifié des molécules antipersistance, mais elles n'ont pas été testées dans des modèles intracellulaires, on en est encore qu'aux balbutiements ". Pour l'instant, l'équipe de Françoise Van Bambeke aimerait étendre l'étude à d'autres espèces bactériennes : " Il n'y a pas de raison de penser qu'un phénomène parallèle ne se développerait pas dans d'autres bactéries. Nous aimerions aussi aller plus en avant dans l'évaluation des conséquences cliniques de ce phénomène de persistance. "