Isabelle Mancini est oncologue au CHU Tivoli. Il y a quelques années, elle a souhaité partager son temps entre imageries médicales et toiles de lin. Une véritable catharsis, proche de la définition qu'en fait Platon, et qui permet à cette amoureuse aux cheveux noirs de jais, de mettre ses passions en couleur.
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Le 25 juillet, Isabelle Mancini poste une toile représentant un visage féminin sur Facebook. Parmi les commentaires, nous retrouvons celui-ci: "Tristesse, épuisement, vide intérieur... Bravo". Il est vrai que dans ce travail dont on sent l'influence de l'école de Londres, l'expression est bien résumée par le commentateur. "Il y a deux ans, j'ai posé mes priorités et j'ai diminué mon temps de travail. Du coup, je ne travaille plus que trois jours par semaine, les autres jours sont des congés et ... consacré à l'Académie, le bonheur quoi!", explique l'oncologue, maman de deux enfants. Et de préciser: "Cette décision s'est faite à l'âge de raison". Si pour le psychiatre Gilles-Marie Valet, "l'âge de raison est une période de calme entre deux périodes de crises", chez le Dr Mancini, on sent que la possibilité de revivre une crise s'est éloignée volontairement de ses perspectives. Elle laisse à penser, dans toutes les possibilités qu'elle peint, que les problèmes qui la perturberont désormais seront ceux de tout soignant face à ses patients, celle d'une maman face à l'évolution de ses enfants et les instabilités tellement constructrices que permet l'art. La peinture matérialise ses angoisses telle une broyeuse. "Avec l'âge, j'ai appris à switcher entre mon travail et la maison. Écouter la radio durant l'heure de route qui me relie à mon domicile me permet de me déconnecter", confie celle qui affirme "avoir toujours peint". Au CHR de Nivelles puis à Tivoli, elle lance des ateliers de peinture "pour extraire la thérapie de l'Art". Pour elle, il y avait quelque chose de fabuleux à proposer de peindre à des patients du service d'oncologie. Des ateliers qu'elle a mis en place avec des bouts de ficelles et qui sont encadrés aujourd'hui par une professionnelle: "Sabine est une fille solaire qui fait ce boulot certainement mieux que moi". Elle tient par ailleurs à remercier le Lions Club du Roeulx de son soutien pour le financement de ce projet. "Les enfants sont invités à venir peindre avec leurs parents. Je me souviens d'une maman qui avait un traitement chimio pour un cancer du sein et que son fils dessinait avec une énorme poitrine et de longs cheveux." Pour ses patients qui ne savent plus "où se placer sur leur ligne du temps", le Dr Mancini sublime le métier de médecin avec un objectif: "Devenir quelque chose qui donne envie de peindre". Pour Isabelle Mancini, l'art ne permet pas "de laisser une trace après le vivant" mais "d'arriver à un objectif". Et l'oncologue de résumer le concept en une phrase: "Je crée donc je suis". Pour la doctoresse dont la passion est débordante, elle soutient que si "l'art ne soigne pas", il permet "le rêve et l'endormissement magnifique". Une des certitudes du Dr Mancini, est en effet que: "Le travail abstrait induit par la peinture et réfléchi avant l'endormissement aide à surpasser le stress". Une réalité partagée par les peintres contactés à cet effet et par bon nombre de thérapeutes soignant l'insomnie. L'Académie des Beaux-Arts de Wavre est sise dans un grand bâtiment de briques rouges. Une dame d'un certain âge peine à monter les quelques marches menant du trottoir à la porte d'entrée imposante alors qu'une trentenaire, écharpe verte autour du cou et pantalons bouffants, les enjambe comme par magie. Le premier cours est terminé et l'atelier de peinture reprend dans quelques minutes. Patrick Brichard, le professeur de peinture, formé à la Cambre, sort du secrétariat et emprunte un large escalier en bois qui mène au premier étage. On se croirait devant l'escalier de Poudlard, le pensionnat le plus célèbre de la sorcellerie. Des instructions nerveuses autour d'une nature morte faite de bric et de broc s'engrènent avec les élèves. Des cartons sont empilés les uns sur les autres et semblent former une ville. L'atelier baigne dans la lumière, des rangées de spots surplombent des chevalets sur lesquels sont posés des châssis ou des panneaux entoilés. Des chevalets qui sont là depuis des générations, traces de peinture faisant foi. Devant son chevalet, aucun indice laisse penser que l'élève Isabelle soit une personne reconnue dans son métier. Elle est captivée par son travail. Sa bulle est son pétillant.